Transition verte : des entreprises publiques engagées, mais toujours pas de stratégie unifiée
Les acteurs opérant dans des secteurs directement exposés ou émetteurs (énergie, eau, transport, environnement, etc.) présentent une meilleure articulation avec la Stratégie nationale de développement durable (SNDD) et avec les engagements internationaux du Maroc, notamment la Contribution déterminée au niveau national (CDN) et les Objectifs de développement durable (ODD). Toutefois, nuance l’étude, l’absence d’un référentiel harmonisé limite la comparabilité entre entités et rend difficile le suivi consolidé de l’action climatique à l’échelle du portefeuille public.
L’approche graduelle retenue – de l’analyse globale des EEP (échantillon de 44 entités) à un focus détaillé sur 10 d’entre eux – met en évidence un potentiel important, mais encore largement sous-exploité. Environ un tiers des 44 EEP étudiés dispose de documents climat ou durabilité, mais souvent insérés dans des plans sectoriels sans stratégie climat propre. Ainsi, si certains EEP affichent des indicateurs pertinents (énergie, agriculture, eau, biodiversité), d’autres secteurs, en revanche (urbanisme, tourisme, services), restent moins avancés et moins transparents en matière d’actions climatiques. La généralisation d’outils structurés – tels que la taxonomie verte, les référentiels Environnement, Social et Gouvernance (ESG) ou le reporting climat standardisé – s’avère donc essentielle pour ancrer la transparence et l’efficacité à l’échelle du portefeuille public.
Agriculture, pêche maritime et développement rural : un potentiel encore sous-exploité
Sur la base de critères combinant capacité financière et impact climatique sectoriel, les 44 EEP retenus couvrent des secteurs variés : Agriculture, Eau, Énergie, Infrastructures, Transport, Urbanisme, Recherche, Santé, Logistique et Finance. Le secteur de l’agriculture, de la pêche maritime et du développement rural joue un rôle clé dans l’économie nationale, la souveraineté alimentaire et la résilience climatique. Fortement dépendant de ressources naturelles comme l’eau, les sols et la biodiversité, ce secteur reste, selon l’analyse, très exposé aux aléas climatiques, notamment les sécheresses, le stress hydrique, la dégradation des terres et la baisse de productivité halieutique.
Les EEP du secteur interviennent à différents niveaux : mise en œuvre des stratégies agricoles nationales – Génération Green et Halieutis –, financement des exploitations et projets ruraux, développement de la recherche agronomique et halieutique, structuration des filières et valorisation de zones spécifiques comme les oasis ou les arganeraies.L’étude indique que, malgré leur rôle stratégique, peu d’EEP de ce secteur disposent de stratégies climatiques formalisées. La majorité intègre les enjeux climatiques principalement via les stratégies sectorielles existantes, centrées sur l’adaptation. De même, l’alignement sur des standards internationaux, tels que les taxonomies vertes ou les référentiels ESG, reste rare, bien que certains EEP bénéficient d’accréditations ou de partenariats avec des fonds climatiques comme le Fonds Vert pour le climat (FVC) ou encore le Fonds d’adaptation (FA).
Or le secteur est confronté à un double défi climatique : il est à la fois vulnérable aux aléas tels que les sécheresses, les inondations et la hausse des températures, et porteur d’opportunités d’atténuation, notamment via la séquestration du carbone dans les sols et forêts ou l’usage d’énergies renouvelables pour l’irrigation.
Les stratégies climatiques des EEP du secteur devraient donc articuler résilience et sobriété carbone, recommande l’étude. La revue des stratégies climatiques fait ressortir la distinction de l’Agence pour le développement agricole (ADA) par son accréditation au FVC et au FA, mobilisant des financements pour des projets d’adaptation agricole, mais sans stratégie climat dédiée. L’Institut national de recherche agronomique (INRA), quant à lui, contribue via la recherche scientifique et technique à renforcer l’agriculture et les systèmes alimentaires face aux défis climatiques et environnementaux, mais ne dispose pas de cadre ESG ni de plan climat formalisé.
Dans le secteur de la pêche maritime, l’Institut national de recherche halieutique (INRH) intègre la dimension hydro-climatique dans ses travaux liés à la stratégie «Halieutis», avec une bonne transparence scientifique, mais sans stratégie spécifique.
L’Office régional de mise en valeur agricole du Gharb (ORMVAG) déploie des actions concrètes, notamment dans la généralisation de l’irrigation goutte-à-goutte et l’utilisation d’outils technologiques. À l’instar des autres ORMVA, ses démarches gagneraient à être davantage renforcées en matière de transparence et d’intégration explicite des enjeux climatiques, à travers l’élaboration d’une stratégie dédiée à la gestion durable des ressources en eau et à la mise en valeur agricole.Dans ce tableau, l’Agence nationale de développement des zones oasiennes et de l’arganier (ANDZOA) fait figure d’exception avec une stratégie climat 2030 claire, combinant adaptation et atténuation (carbone arganier), mais doit, elle aussi, renforcer son alignement sur les taxonomies vertes et standards ESG. Enfin, l’Agence nationale pour le développement de l’aquaculture (ANDA) structure la filière aquacole sans intégrer explicitement les enjeux climatiques.
Eau et forêts : l’ONEE et l’ANEF, bons élèves
Le secteur de l’eau, des forêts et de l’environnement est fondamental pour la résilience nationale face au changement climatique. Il couvre la gestion intégrée des ressources en eau (production, distribution, assainissement, protection des nappes souterraines), la préservation et la restauration des écosystèmes terrestres (forêts, bassins versants), la prévention des risques hydrométéorologiques (sécheresse, inondations) et la fourniture de services publics essentiels (eau potable, assainissement, électricité) au niveau territorial.
Il est à la fois extrêmement vulnérable (sécheresse, baisse des débits, incendies de forêt, érosion) et stratégique pour l’atténuation (puits de carbone forestiers, gestion durable des sols, réduction des pertes d’eau et d’énergie, etc.).
La revue des EEP du secteur montre que la plupart d’entre eux focalisent leurs actions sur la résilience (gestion de l’eau, prévention des inondations, reboisement, épuration). L’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) et l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF) se distinguent à travers des volets d’atténuation clairs (déploiement des énergies renouvelables, séquestration du carbone en forêt, etc.).
Cependant, d’autres EEP intègrent peu d’objectifs d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) chiffrés. De plus, le secteur est marqué par des niveaux hétérogènes de transparence extra-financière : certains acteurs nationaux publient des documents structurés (Plans de développement des ressources en eau, «Forêts 2020-2030», rapports annuels), tandis que d’autres ne disposent pas encore de mécanismes de reporting environnemental.
L’atténuation, notamment via la réduction des émissions directes ou la transition énergétique, est peu développée ou peu documentée, à l’exception notable de l’ONEE pour la diversification des sources énergétiques.
Énergie et mines : un reporting climat harmonisé est nécessaire
Le secteur de l’énergie et des mines constitue le pilier central de la transition bas carbone du Royaume. Les EEP qui y opèrent – notamment l’Agence marocaine pour l’énergie durable (Masen), l’ONEE, l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) et le Groupe OCP – figurent parmi les plus avancés en matière d’intégration climatique.
L’étude relève une forte cohérence entre leurs stratégies et les engagements nationaux (CDN, SNDD, Stratégie énergétique 2030). L’ONEE poursuit le déploiement de programmes ambitieux d’intégration des énergies renouvelables et de diversification du mix énergétique, avec des objectifs chiffrés de réduction des émissions et d’efficacité énergétique.
Masen pilote des projets d’envergure dans le solaire, l’éolien et l’hydrogène vert, tout en structurant un système interne de suivi climat conforme aux standards internationaux. Le Groupe OCP se distingue, quant à lui, par une approche intégrée de neutralité carbone à l’horizon 2040, fondée sur la décarbonation industrielle, la valorisation des ressources hydriques et la circularité.
L’ONHYM introduit la dimension climatique dans ses activités d’exploration et de valorisation énergétique, notamment via le développement du gaz naturel et la participation à des projets régionaux à faible empreinte carbone.
Verdict de l’étude : le secteur affiche globalement une maturité avancée, mais la consolidation d’un reporting climat harmonisé demeure nécessaire pour assurer la comparabilité entre opérateurs.
Transport et infrastructures : une meilleure articulation sectorielle autour du climat est recommandée
Le secteur du transport, fortement émetteur, représente un levier majeur d’atténuation. Les EEP concernés – l’Office national des chemins de fer (ONCF), la Société nationale des autoroutes du Maroc (ADM), l’Office national des aéroports (ONDA), l’Agence nationale des ports (ANP) et la Société nationale du transport et de la logistique (SNTL) – ont intégré le climat de manière plus opérationnelle que stratégique.
L’étude relève des efforts notables en matière d’efficacité énergétique, de mobilité propre et de modernisation des réseaux, mais souvent sans stratégie climat explicite.
L’ONCF, à travers sa stratégie de décarbonation du rail et le recours à l’électricité verte, contribue directement à la réduction des émissions du transport terrestre, tandis qu’ADM engage un programme de verdissement de ses infrastructures (éclairage solaire, reboisement linéaire, stations propres).
S’agissant de l’ONDA et de Royal Air Maroc (RAM), ils œuvrent à la réduction de l’empreinte environnementale du transport aérien via des programmes d’efficacité énergétique et de compensation carbone.
L’ANP et la SNTL initient, respectivement, des actions d’adaptation des ports au risque climatique et de verdissement de la logistique. Néanmoins, l’étude recommande une meilleure articulation sectorielle autour d’une stratégie climat unifiée et la mise en place d’indicateurs de suivi harmonisés pour mesurer les progrès accomplis.
Urbanisme et habitat : absence d’objectifs chiffrés
Ce secteur, essentiel pour la résilience urbaine, reste parmi les moins avancés en matière d’intégration climatique. Les EEP tels que le Groupe Al Omrane, les agences urbaines ou la Société d’aménagement de Zenata intègrent les enjeux de durabilité principalement à travers des plans de développement urbain, sans stratégie climat formalisée.
Les programmes récents d’aménagement durable – éco-cités, villes nouvelles, quartiers verts – témoignent d’une sensibilité accrue à la durabilité, mais sans objectifs chiffrés de réduction des émissions ni mécanismes de suivi extra-financier systématique.
L’étude souligne le potentiel important de ce secteur pour la séquestration carbone urbaine (espaces verts, gestion des déchets, bâtiments bas carbone) et recommande de formaliser des stratégies climat intégrées à l’échelle des opérateurs publics, avec un alignement sur les référentiels ESG nationaux et internationaux.
Le lien climat-santé encore peu exploité
Les établissements publics intervenant dans la santé et la recherche scientifique – notamment les Centres hospitaliers universitaires (CHU), l’Agence marocaine du médicament et des produits de santé (AMMPS), l’Agence marocaine du sang et de ses dérivés (AMSD), ainsi que le Centre national pour la recherche scientifique et technique (CNRST) – intègrent la dimension climat de façon indirecte.
Le lien entre climat et santé est peu exploité dans leurs stratégies, bien que les enjeux de résilience sanitaire et de sécurité médicamenteuse soient importants. L’étude note que les établissements hospitaliers mettent en œuvre des actions d’efficacité énergétique et de gestion durable des déchets, mais sans plan climat structuré.
La recherche publique, quant à elle, produit des travaux de référence sur les impacts climatiques, sans pour autant disposer d’un cadre institutionnel d’intégration ESG. Le renforcement de la coordination entre institutions scientifiques et EEP opérationnels est identifié comme levier stratégique pour accélérer l’innovation climatique nationale.
Logistique et finance : un cadre pour la traçabilité des investissements climatiques est prioritaire
Le secteur financier public, piloté notamment par la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), le Fonds Mohammed VI pour l’investissement (FM6I), le Fonds d’équipement communal (FEC), le Crédit Agricole du Maroc (CAM) et Tamwilcom, constitue l’un des moteurs de la transition verte. Ces institutions intègrent la finance durable, la notation ESG et les financements climatiques dans leurs modèles. La CDG se distingue ainsi comme acteur de référence du financement climatique, alignant ses fonds d’investissement et ses opérations immobilières sur les critères verts.
Le FEC et le CAM orientent, quant à eux, leurs produits financiers vers la résilience territoriale et l’agriculture durable, tandis que Tamwilcom déploie des mécanismes spécifiques pour l’économie verte et l’efficacité énergétique.
Le FM6I, de son côté, a intégré la durabilité comme critère d’éligibilité dans ses fonds thématiques. La logistique publique, via la SNTL et MedZ (filiale du Groupe CDG), amorce l’intégration du climat à travers la certification environnementale des zones logistiques et la décarbonation des flottes, mais reste encore à un stade embryonnaire. L’étude souligne l’importance d’un cadre unifié de finance verte pour consolider la traçabilité des investissements climatiques publics.
2025-10-29 09:30:00
lematin.ma




