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Tous les contrats-programmes des filières agricoles signés en 2023 seront révisés (Ministère de l’Agriculture)

Tous les contrats-programmes des filières agricoles signés en 2023 seront révisés (Ministère de l’Agriculture)
Le Matin : Après sept années successives de sécheresse, quel diagnostic dressez-vous aujourd’hui de la situation des filières agricoles de production ?

Tawfik El Achabi : Je pense que l’un des chiffres qui révèle le véritable impact de ces sept années de sécheresse ce celui dévoilé dernièrement par notre département sur l’évolution du cheptel national. Et c’est un chiffre qui parle de lui-même. C’est-à-dire que malgré toute la résilience qu’on peut avoir et en dépit de toute la résistance et les efforts consentis, ces années de sécheresse ont laissé des séquelles profondes sur le secteur agricole. Le cheptel s’est ainsi écroulé affichant une baisse des effectifs de 38%. C’est ce qui a donc conduit à la sage Décision Royale de s’abstenir du rituel du sacrifice cette année. Cette situation de sinistrose est aussi valable pour pratiquement l’ensemble des filières agricoles qui dépendent fortement des précipitations. Mais sachez que l’impact aurait été beaucoup plus grave sans nos infrastructures hydriques.

En effet, le Maroc, bien qu’étant un pays à climat aride, s’est préparé de longue date à de telles situations grâce à sa politique de construction de barrages, initiée par Feu S.M. le Roi Hassan II. Le problème, c’est que la succession des années de sécheresse a fait que même la dotation d’eau dédiée à l’irrigation au niveau des barrages n’a pas été assurée, et qu’il y a eu carrément l’arrêt de l’irrigation dans de nombreux secteurs agricoles relevant des périmètres irrigués.

Ce qui a inévitablement ramené la production dans certains secteurs à zéro, avec tout l’impact que l’on sait sur l’emploi, sur la valeur ajoutée et sur le PIB agricole et partant sur le PIB national.

Je pense que, sans certaines mesures prises dans le cadre du plan Maroc Vert, le goutte-à-goutte par exemple, les marchés n’auraient pas été suffisamment alimentés en fruits et légumes, malgré la récente générosité du ciel cette année. Certes, nous avons relevé des cas de hausse des prix, mais je pense que c’est dû à l’inflation des intrants agricoles, notamment les engrais et certains produits dont les cours se sont envolés à l’international en rapport à crises géopolitiques. Cela dit, le marché national est resté suffisamment alimenté en produits agricoles. Il s’agit donc là d’un acquis à mettre à l’actif des stratégies agricoles menées par le département de l’Agriculture, que ce soit le plan Maroc Vert ou encore la stratégie Génération Green (2020-2030). La situation est toutefois alarmante. Des filières ont été profondément perturbées du fait de la sécheresse, des superficies qui ont été perdues et, partant, des emplois qui sont partis en fumée. Les dernières pluies nous rendent toutefois le vent de l’optimisme afin de redémarrer un nouveau cycle. Et c’est ça l’agriculture. C’est un métier, un secteur de défis. Il faut être optimiste. Je pense que malgré le risque que porte cette problématique de la pluviométrie, cette année s’annonce excellente. La production céréalière devrait ainsi culminer à 44 millions de quintaux, soit une progression de 41% par rapport à la campagne précédente. Ce qui est, je pense, au-dessus de toutes les estimations faites, en début d’année, par les spécialistes. Je précise que nous avons perdu certaines superficies en cours d’année parce que la pluie s’est faite rare fin novembre 2024 et début décembre. Des périodes où les précipitations sont vitales pour humidifier le sol et favoriser ainsi la germination. Mais les pluies enregistrées début mars dernier, et surtout celles du début du mois d’avril, ont rétabli la situation, du moins pour les céréales, pour l’arboriculture et pour le maraîchage. Ce qui fait que nous tendons vers une année agricole normale. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que la situation peut se répéter. Nous avons donc du pain sur la planche pour travailler sur plusieurs axes afin d’être moins vulnérables à de telles situations. Car l’absence totale de l’eau cela signifie qu’il n’y aura pas de production, que l’on soit bien clair là-dessus, quelles que soient les méthodes, les techniques que l’on va utiliser.

Les actions et interventions que nous entreprenons actuellement portent sur l’économie d’eau, le développement des cultures plus résilientes et l’adoption de techniques plus adaptées au contexte de stress hydrique. Sur un autre niveau, nous essayons de désamorcer la pression sur certains facteurs de production surtout lorsque ces derniers étaient un peu élevés, à l’instar des engrais azotés et les aliments pour bétail. Des subventions ont donc été instaurées pour en alléger le coût pour l’agriculteur. Ce sont des mesures qui permettent de renforcer la résilience du secteur et des agriculteurs, en attendant des jours meilleurs comme celles qu’on vit aujourd’hui.

La stratégie du ministère de l’Agriculture pour faire face au stress hydrique (Ahmed El Bouari)

La filière de production animale et le secteur avicole comptent parmi les plus durement touchées par les années successives de sécheresse. Les professionnels alertent sur la persistance de l’inflation des prix pour les consommateurs, en raison de contraintes structurelles aggravées par le changement climatique. Quelles mesures concrètes le ministère de l’Agriculture envisage-t-il pour stabiliser ces prix, y compris lors des épisodes de sécheresse sévère ?

Je pense qu’il n’existe pas une approche classique qui va donner tous les résultats escomptés sur un plan théorique. Il faut d’abord distinguer le cas de l’élevage des ovins de celui des volailles. Pour l’élevage des petits ruminants, l’idée pour baisser le coût, c’est d’apporter une alimentation à moindre coût. Cette alimentation provient essentiellement des parcours et des résidus des grandes cultures. Or, dans les sept dernières années, les parcours ont été décimés. On n’avait pas de production céréalière et donc on n’avait pas de résidus de culture. Ce qui fait que les éleveurs achetaient pratiquement tout pour alimenter leurs cheptels. C’est cela qui a fait augmenter le coût. Certains, se trouvant dans une situation financière délicate, se sont séparés de leurs cheptels. Résultats des courses : l’offre sur le marché en viandes rouges a significativement baissé. C’est ce qui a conduit à cette hausse vertigineuse des prix. C’est donc la loi de l’offre et de la demande. Il y a eu un déséquilibre que le gouvernement essaie de combler à travers de l’importation de bovins, d’ovins ou de viandes fraîches. Par contre, pour le cas de la volaille, toute l’alimentation est importée. Là, on peut parler réellement d’une inflation parce qu’on l’a importée. Toutes les hausses des prix des aliments sur le marché international, on les a retrouvées au niveau des prix au consommateur. Maintenant, l’organisation de la filière permet d’améliorer certains éléments des coûts. L’on peut, en effet, produire mieux avec peu d’aliments et en étant mieux organisé pour aller sur le marché. Et quand on est mieux organisé, on peut attaquer le marché avec une offre plus abondante. Ce qui ne laisserait pas la place aux soi-disant intermédiaires dont l’on a beaucoup parlé ces derniers temps. Ces derniers captent, en fait, une valeur ajoutée sans la créer. Je pense que c’est aussi un facteur qui joue dans la hausse des prix. C’est pour cela que l’on travaille aujourd’hui sur l’organisation des interprofessions pour essayer de limiter au maximum les intervenants dans les filières. De même, en partenariat avec l’Intérieur, nous sommes sur le grand chantier d’organisation des marchés de gros et sur la restructuration des abattoirs et des marchés à bestiaux.

Dans le cadre de la rationalisation des acteurs de la filière, vous soulignez que certains intermédiaires captent une valeur ajoutée sans réellement la créer. Quelle est votre vision pour optimiser cette chaîne de distribution ? Concrètement, comment cette réduction du nombre d’intervenants se traduira-t-elle sur le terrain ?

Il suffit, tout d’abord, d’identifier tous les acteurs qui vont mettre en vente un produit sur le marché. Je pense qu’ils seront moins nombreux à jouer ce jeu. Je dis qu’il y a des intermédiaires utiles et d’autres nuisibles. Un intermédiaire, qui va financer en partie la campagne d’un agriculteur en achetant sa production, puis la valoriser et la mettre sur le marché, avec toute la logistique que cela implique, est un acteur qui est utile. Car, tous les agriculteurs ne peuvent pas se présenter tous les matins au marché.

L’on a besoin de quelqu’un qui organise ce maillon de chez l’agriculteur au marché. Il y a certains qui peuvent le faire, d’autres non comme ces intermédiaires qui ne font qu’acheter et revendre. Ils pratiquent donc de la spéculation pure et dure qu’on doit combattre. Je pense que la digitalisation peut jouer un rôle stratégique dans la réorganisation et la modernisation des chaînes de commercialisation. De même, l’instauration de la transparence dans les circuits de distribution peut aussi jouer un rôle important dans la rationalisation du nombre de ces acteurs. Le fait est que du moment que je peux mettre en lien direct l’acheteur final et le producteur, ou encore le producteur plus le premier intermédiaire, c’est largement suffisant pour que l’agriculteur puisse capter aussi une partie de la valeur ajoutée qui est perdue en chemin.

Lors de la 15e édition du SIAM en 2023, pas moins de 19 contrats-programme pour le développement des filières de production avaient été signés entre l’État et les interprofessions agricoles. Quel est l’état d’avancement du processus d’opérationnalisation de ces cadres contractuels dans le contexte actuel de stress hydrique ? Ne faudrait-il pas les réviser pour les adapter aux nouveaux défis ?

Pour la majorité des cadres contractuels engagés, le processus avance très bien. Ces contrats-programmes ont été déclinés en conventions spécifiques, en actions ou en engagements du ministère de tutelle et du gouvernement. Des subventions ont ainsi été instaurées sur la base des recommandations de ces cadres contractuels, comme c’est, d’ailleurs, le cas pour la filière laitière et d’autres filières. Dans ces conventions-là, il y a de la recherche, du développement, de l’encadrement et de la valorisation aussi en plus des actions visant la promotion et l’organisation interne des filières.

Aujourd’hui, nous estimons qu’il est temps pour certaines filières, vu la conjoncture, de revoir ce qu’on s’attend d’elles. Autant les efforts d’organisation peuvent produire des résultats tangibles, autant les gains de rendement à l’hectare deviennent aujourd’hui difficiles à atteindre, compte tenu des défis posés par la sécheresse. Nous collaborons actuellement avec les interprofessions afin de réviser nos objectifs, de manière à les rendre plus réalistes et en adéquation avec la réalité que nous avons vécue.

Est-ce qu’on peut avoir un exemple des filières avec qui vous allez justement revoir ces contrats programmés ?

En effet, nous planchons sur la révision de quasiment tous les cadres contractuels signés en 2023. Bien sûr, ce processus ne sera pas uniforme. Il peut différer d’une filière à l’autre, en fonction de l’impact qu’a eu cette sécheresse sur la filière concernée. Je citerais l’exemple de l’olivier et des agrumes, où nous avons perdu des superficies importantes à cause de la sécheresse, notamment en zone bourre et même dans certaines zones irriguées, où il y a eu un assèchement des nappes phréatiques. Le contrat-programme de la filière des viandes rouges est aussi à revoir de fond en comble. Je pense que c’est un exercice légitime et tout à fait normal puisqu’il y a beaucoup de nouvelles données à prendre en considération.

Vous avez déjà entamé les consultations avec les interprofessions pour opérer ces reparamétrages ?

Non. Mais en interne, nous sommes en train de réfléchir sur le modèle et la vision à adopter. Il faut que ces reparamétrages soient en harmonie avec la stratégie Génération Green et avec des objectifs réalistes, «smart», atteignables, mesurables, et tout ce qui en suit. Il ne faut pas que nos objectifs soient tellement révisés à la baisse et qu’ils n’impliquent pas, à l’inverse, des challenges délicats pour le ministère et pour les interprofessions. Nous sommes dans une logique où la priorité est d’améliorer le secteur, d’améliorer la productivité et la rentabilité pour nos agriculteurs.

Pour une question de rationalisation de l’usage de l’or bleu en agriculture, ne serait-il pas judicieux de fixer des seuils en termes de superficies dédiées à des cultures hautement hydrovores comme c’est le cas pour la pastèque et l’avocatier ?

Il faut savoir que les assolements au Maroc sont libres. Et je pense qu’en partant de ce principe, l’on peut débattre à ce sujet. Le fait de dire que ce sont des filières qui consomment beaucoup d’eau est relatif dans la configuration agricole actuelle. S’agissant de l’avocatier, la superficie dédiée à cette culture est très limitée. Les superficies sur lesquelles est pratiquée cette culture sont concentrées dans des zones où il y a suffisamment d’eau à l’instar du Gharb et du Loukkos où l’on a le plus d’excédents d’eau. Ces régions ne souffrent pas d’un déficit en ressources hydriques. C’est pour cela que j’estime que c’est un faux débat. Les superficies irriguées et dédiées à l’export ne pèsent absolument rien dans l’échiquier agricole national. L’on exporte pour 500 millions de mètres cubes, mais l’on importe pour quelques milliards de mètres cubes en céréales. Et si l’on devait produire ces céréales au Maroc, l’on n’a pas suffisamment d’eau pour le faire. Même si l’on doit reconvertir toute notre superficie agricole utile en cultures céréalières moyennant l’irrigation, on n’atteindra pas les objectifs. La politique du Programme national d’économie d’eau d’irrigation a permis aux agriculteurs d’être plus résilients et d’introduire la notion d’économie dans leurs pratiques. Aujourd’hui, même sans subvention, un agriculteur ne peut pas s’imaginer faire de la pomme de terre ou du maraîchage sans la technique du goutte-à-goutte. Je pense que c’est quelque chose qui est ancré dans les pratiques de nos agriculteurs. Car, cette technique permet à la fois au producteur de faire une économie de l’eau et de la bonne fertirrigation. Cela permet également d’uniformiser la production, et à partir de là, assurer une récolte à une valeur beaucoup plus importante. Je pense que sur cette histoire d’économie d’eau, les bonnes pratiques sont déjà amorcées depuis une vingtaine d’années, à la faveur de toutes les subventions accordées au secteur de l’eau.

La tutelle avait instauré des subventions pour permettre une détente sur les prix de certains intrants, notamment les engrais azotés ? Est-ce que vous envisagez la reconduction de ces mesures lors de la prochaine campagne agricole ?

La mesure de subventionner une partie des intrants était une décision exceptionnelle. Cela n’a jamais été fait au Maroc, de l’histoire de l’agriculture moderne. Cette subvention a été inscrite dans le cadre de la Sollicitude Royale pour soutenir l’agriculture dans le cadre d’un projet de résorption des effets de la pluviométrie et de la conjoncture. Je dois rappeler que suite à la guerre en Ukraine, les prix des engrais ont flambé. Ces derniers sont indexés sur le prix du gaz naturel et du pétrole. Leurs prix avaient pratiquement triplé. L’on est passé de 200-300 dirhams la tonne à plus de 1.200 dirhams le quintal. Nous étions donc face à une situation où les agriculteurs n’avaient pas suffisamment de fonds pour s’approvisionner en ces intrants, pourtant vitaux pour leurs cultures. Même, ceux qui avaient les fonds nécessaires pour se les procurer se demandaient si la valeur de vente de leurs produits allait rémunérer l’investissement mobilisé. Je pense que la sage décision de subventionner les engrais a apporté ses fruits. On a subventionné uniquement les engrais azotés. C’est un programme qui a très bien marché. La preuve, après les récentes précipitations, la demande locale sur ces intrants a explosé. Et pour vous dire, nous étions contents qu’il y ait eu cet appel parce que cela signifie qu’il y a des cultures derrière et de la production qui va venir. Ce qu’il faut retenir, c’est que depuis la mise en place de ce mécanisme, les prix du gaz et du pétrole ont rechuté et partant ceux des engrais azotés, que le Maroc ne produit pas d’ailleurs. La tendance est donc à la baisse. Depuis quelques mois, on est à des niveaux presque similaires à ce qu’il y avait avant la crise en Ukraine. C’est pour cela que je ne vois pas de raison aujourd’hui de continuer à les subventionner. En tout cas, la décision de reconduction de cette subvention n’est pas prise. Mais s’il y a une raison majeure qui justifie sa réinstauration, pour soutenir l’agriculteur, l’État le fera. Ceci dit, il n’est pas judicieux d’instaurer cette culture de dépendance au soutien aux intrants.


2025-04-23 17:35:00

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