Soudan: un pays profondément meurtri par les conflits
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Le Soudan résume le paradoxe de l’Afrique. C’est un pays ayant une histoire millénaire souvent méconnue. Autrefois «grenier de l’Afrique», disposant actuellement d’un sous-sol riche en ressources pétrolières et minières, le Soudan connait une guerre quasi-permanente, attisée de l’extérieur. Occupation coloniale, guerres civiles discontinues, coups d’Etat répétés et dictatures militaires (…) ont ainsi marqué l’évolution d’un pays profondément meurtri par les conflits. Bien que très grave, la situation actuelle du Soudan est faiblement médiatisée au niveau international, générant ainsi une méconnaissance et une indifférence qui cache difficilement la responsabilité de nombreux Etats et la faible implication des institutions internationales telles que l’ONU.
Pays d’Afrique du nord-est, Etat frontalier avec 7 Etats africains, le Soudan est bordé par la Libye au nord-ouest, l’Egypte au nord, la Mer Rouge à l’est et au nord-est, l’Erythrée à l’est, l’Ethiopie à l’est et au sud-est, le Soudan du Sud, au sud, la République centrafricaine au sud-ouest et le Tchad à l’ouest. D’où sa position géostratégique exceptionnelle. C’était le premier pays africain en termes de superficie (2,53 millions de km²), avant sa division en 2011 en deux Etats. C’est un pays qui dispose d’une histoire millénaire, avec notamment le royaume de Kerma (vers 2500-1500, avant JC), et le royaume de Koush (vers 786-350, après JC). Après la chute de la dynastie Koush, les Nubiens ont formé trois royaumes : Nobatia, Makuria et Alodia. A partir du 14ème siècle, le Soudan va connaitre une arabisation/islamisation et la naissance du sultanat de Sennar, alors que le Darfour gouvernait l’ouest et les Ottomans l’est. Au 19ème siècle, l’ensemble du Soudan a été intégré à l’Egypte sous la dynastie de Mohamed Ali.
Le mouvement nationaliste dit mahdiste sera sauvagement réprimé et vaincu par une force militaire conjointe égypto-britannique. Cette défaite du mouvement nationaliste a été suivie par le partage du Soudan entre les deux occupants, sous forme de condominium. La révolution égyptienne, en 1952, va exiger le retrait des forces britanniques, aussi bien de l’Egypte que du Soudan. Le 1er avril 1956, le Soudan accède à son indépendance. Mais le régime dictatorial de Jaâfar Numeiri, à couleur islamiste, va générer une opposition radicale, surtout au sud. C’est aussi le cas de la dictature militaire dirigée par Omar-el-Bachir, de 1989 à 2019. Entretemps, le Soudan a connu une partition, avec la création de l’Etat du Soudan du Sud, en 2011. Israël a joué un rôle important dans cette division du Soudan en deux Etats, en appliquant sa stratégie fondée sur la «doctrine de la périphérie», consistant à affaiblir de manière préventive l’ensemble des pays arabo-musulmans pour maintenir sa position dominante. Omar-el-Bachir sera renversé à son tour dans un coup d’Etat, en 2019, en plein soulèvement populaire. En 2020, le Soudan devient «Etat laïque». Une évolution mal vue surtout par les Etats pétroliers arabo-musulmans du Golfe.
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Le Soudan, autrefois «grenier de l’Afrique», et malgré son potentiel actuel exceptionnel en ressources minières et énergétiques, est l’un des pays les plus pauvres au monde, classé au 172ème rang de l’indice de développement humain, en 2022. Plus de 35% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Cependant, cette situation est loin d’être accidentelle ou fatale. En effet, depuis longtemps, le Soudan n’a pas cessé d’être convoité par les puissances. Pendant la période coloniale, le mouvement mahdiste a semé les graines d’un nationalisme unificateur bien ancré dans la formation sociale soudanaise, mais affaibli par les expéditions coloniales franco-britanniques, et la grande famine entre 1889 et 1891.
L’indépendance du Soudan proclamée en 1956 sera perturbée par une mutinerie des officiers du sud, car le gouvernement de Khartoum n’avait pas tenu ses promesses de création d’un Etat fédéral. La guerre civile va durer jusqu’à 1972. La situation politique interne sera instable jusqu’au coup d’Etat militaire par le colonel Jaâfar Numeiri qui va s’emparer du pouvoir, supprimer le Parlement et interdire les partis politiques. En fait, l’instabilité sociopolitique va s’aggraver. Plusieurs militants et syndicalistes vont être arrêtés et exécutés, dont l’écrivain Abdel Khaliq Mahjoub, et le dirigeant de la Confédération générale des travailleurs du Soudan, Chafi’ai Cheikh. En 1983, le dictateur J. Numeiri a décidé d’appliquer le droit musulman dans le domaine pénal. Ce qui va attiser encore plus les contradictions internes. L’aide financière des Etats Unis d’Amérique (EUA) à la dictature, dans le contexte mondial de la «guerre froide», va passer de 5 millions de dollars, en 1979, à 200 millions de dollars, en 1983, puis 254 millions de dollars en 1985, destinés principalement à des programmes militaires. Le Soudan devint ainsi le 2ème bénéficiaire de l’aide étatsunienne en Afrique, après l’Egypte. Bases aériennes militaires et grandes stations d’écoute vont être construites par les EUA au Soudan. En mars 1985, les populations soudanaises protestent contre la hausse des prix des produits de première nécessité décidée sous l’injonction du Fonds monétaire international (FMI). Un coup d’Etat mené par le Général Swar ad-Dahab tente de restaurer un gouvernement civil sans pour autant parvenir à la stabilité politique.
En 1989, un nouveau coup d’Etat est mené par le Général Omar El Bachir. Le nouveau dictateur restaure les lois pénales du droit musulman qui prévoient notamment la lapidation et l’amputation des mains. La guerre civile qui éclate va provoquer le déplacement de plus de 4 millions d’habitants du sud et faire 2 millions de morts. Cette guerre s’installe durablement dans le Darfour où les milices jenjawis procèdent à des exécutions sommaires et massives. En 2005, un accord de paix a été signé à Naïrobi entre john Garang, dirigeant de l’armée populaire de libération du Soudan (APLS) et le Vice-président Ali Osmane Taha, mettant fin à 21 ans de guerre civile. L’accord a prévu un régime d’autonomie de 6 ans au Soudan du Sud, suivi de l’organisation d’un référendum d’autodétermination. La mort brutale de J. Garang dans un hélicoptère, va provoquer de nouvelles émeutes. En 2011, le référendum d’autodétermination au Soudan du Sud va mener vers la sécession. Ainsi, le territoire du Soudan est amputé de plus du quart de la superficie initiale et, en même temps, perd son statut de grand Etat d’Afrique (en superficie). Or, les ressources pétrolières et minières (mines d’or) se situent en grande partie au sud. La baisse des revenus provenant de l’exportation du pétrole va limiter les capacités du Soudan au nord dans le maintien de la «paix sociale».
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Le régime d’Omar El Bachir applique en 2018 un plan d’austérité imposé par le FMI. Le prix du pain est doublé et celui du carburant augmente de 30%, avec un taux d’inflation de plus de 40%. Les actions de protestation sont violemment réprimées par l’Etat. En décembre 2018, un vaste mouvement social s’organise contre le régime. Au mois d’avril 2019, Omar el-Bachir est destitué par l’armée et remplacé par un Conseil militaire de transition (CMT), composé aussi de civils. Le 21 août, le CMT devient le Conseil de souveraineté. Abdellah Hamdok, ancien Economiste de l’ONU est nommé 1er ministre. Mais, le 21 septembre 2021, une tentative de coup d’Etat a lieu, annonçant une nouvelle guerre civile qui va s’accélérer, en 2023, après l’échec du plan de transition entamé vers un régime civil. En effet, des luttes de pouvoir se développent entre le Commandant de l’armée Abdel Fattah al Burhan et son adjoint Mohamed Hamdan Daglo, Chef des Forces de soutien rapide (FSR) qui lancent des attaques dans plusieurs villes.
Les interventions externes d’Etats étrangers sont en grande partie responsables de cette guerre civile ou tout au moins de sa continuité et de son aggravation. C’est notamment le cas des Emirats Arabes Unis (EAU), accusés de soutien financier et logistique aux FSR, dirigés par le Général Hemetti/Daglo. Le rapport «New weapons fueling the Sudan conflict» a mis en évidence le transfert d’armes étrangères au Soudan, en violation de l’embargo sur les armes au Darfour. De même, en 2024, Amnesty International a découvert de nombreuses importations d’armes en provenance de la Chine, des EAU, la Russie, la Serbie, la Turquie et le Yémen. C’est aussi le cas de nombreux rapports d’experts des Nations Unies et de Yale School of Public Health qui ont fourni de nombreuses preuves de fourniture d’armes aux FSR par les EAU. Tout récemment, la Turquie a même fourni des avions de combat utilisés dans des bombardements n’épargnant guère les populations civiles.
En fait, les armes utilisées n’étant pas fabriquées au Soudan, elles ne tombent pas du ciel. Les fournisseurs d’armes aux milices qui procèdent à des massacres ethniques, sont considérés comme étant des complices et doivent être poursuivis en tant que tels et condamnés par la Cour Pénale Internationale qui a entamé des investigations sur les atrocités commises ou en cours.
2025-11-23 13:28:15
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