SGTM s’ouvre au marché : une IPO historique pour pérenniser un champion marocain du BTP
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La Société Générale des Travaux du Maroc (SGTM), prépare la plus importante introduction en Bourse d’un émetteur privé depuis Maroc Telecom en 2004. À travers une opération de cession de 20 % de son capital, pour un montant potentiel de 5,04 milliards de dirhams, le groupe familial amorce une nouvelle étape : institutionnaliser sa gouvernance, élargir son actionnariat et se projeter à l’échelle continentale, tout en restant fidèle à son ADN d’entreprise citoyenne et 100 % marocaine.
La décision de SGTM d’entrer en Bourse, marque un tournant dans l’histoire du secteur du BTP au Maroc. Le 17 novembre 2025, l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC) a accordé son visa à l’opération, ouvrant la voie à une introduction à la bourse de casablanca via une cession d’actions représentant 20 % du capital, détenues par la famille Kabbaj, fondatrice du groupe. D’un montant potentiel de 5,04 milliards de dirhams, cette IPO devient la plus importante depuis Maroc Telecom en 2004, confirmant le statut de SGTM comme acteur structurant de l’économie nationale.
La période de souscription est fixée du 1er au 8 décembre 2025 à 15h30, avec une première cotation programmée le 16 décembre. L’offre a été conçue pour être largement accessible au marché, avec quatre catégories d’ordres différenciées. Les salariés et retraités de SGTM bénéficieront d’un prix préférentiel de 340 DH par action (ordre de type I), soit une décote de 19 % par rapport au prix de référence de 420 DH. Le grand public (ordre de type II) pourra souscrire à 380 DH, tandis que les investisseurs institutionnels, les particuliers fortunés souscrivant au-delà de 5 millions de dirhams (ordre de type III) et les OPCVM et investisseurs étrangers (ordre de type IV) se positionneront au prix de 420 DH. L’ensemble des établissements du syndicat de placement – Attijari Intermédiation comme chef de file, aux côtés de BMCE Capital Bourse, CFG Bank Capital Markets, Saham Capital Bourse et Upline Securities – sera mobilisé pour distribuer l’offre dans les agences bancaires et les sociétés de Bourse.
Lors de la conférence de presse organisée le 19 novembre à l’Auditorium Borj Attijari à Casablanca Finance City, les interventions successives de M’hamed Kabbaj, cofondateur et Président de SGTM, de Hamza Kabbaj, Directeur Général Délégué, et d’Idriss Berrada, Directeur Général d’Attijari Finances Corp, ont donné à voir les différentes dimensions de cette opération : une histoire entrepreneuriale, une stratégie structurée et une lecture financière du marché.
Première voix à s’exprimer, M’hamed Kabbaj revient sur la genèse d’un groupe né dans un environnement où les grands projets étaient dominés par les entreprises étrangères. «En 1972, les travaux les plus importants et les chantiers à forte expertise étaient entre les mains de sociétés étrangères. Très peu d’entreprises marocaines osaient se positionner sur ce segment, explique-t-il. Nous avons voulu prouver que des ingénieurs marocains pouvaient, eux aussi, réaliser des ouvrages complexes.» Les débuts sont difficiles : le groupe, sans références, multiplie les soumissions sans succès. Il évoque une anecdote fondatrice où, face à un comité d’adjudication sceptique, la décision finit par se jouer au vote. «Ils ont décidé de nous faire confiance. À partir de là, c’était à nous de montrer notre savoir-faire, notre sérieux, de prouver qu’ils avaient eu raison de nous choisir», confie-t-il.
Ce premier marché ouvre la voie à une montée en puissance progressive: barrages, viaducs, ouvrages hydrauliques, ports, grands équipements publics. Mais le fondateur insiste sur un autre pilier : la formation. «Nous sommes fiers d’avoir formé plusieurs ingénieurs et techniciens. Une partie travaille toujours chez SGTM, d’autres ont rejoint d’autres entreprises. C’est notre fierté : la formation est quelque chose de primordial.» Pour lui, l’introduction en Bourse s’inscrit dans cette logique de transmission et de continuité. «Nous avons décidé de nous introduire en Bourse pour sauvegarder l’entreprise. SGTM est une entreprise citoyenne marocaine, pour le Maroc. Nous voulons la pérenniser. La meilleure façon de le faire, c’est de l’inscrire dans un cadre boursier, avec des règles de transparence et de gouvernance.»
M’hamed Kabbaj évoque enfin, l’alignement avec la vision royale : «Nous voulons suivre l’exemple de Sa Majesté, qui tire le Maroc vers le haut. Notre ambition est modeste mais claire : avec notre entreprise, contribuer à cette dynamique, participer à la construction de l’avenir du pays.» En filigrane, l’IPO apparaît comme un prolongement naturel d’une trajectoire qui mêle patriotisme économique, montée en compétences nationales et grands chantiers structurants.
C’est ensuite Hamza Kabbaj, Directeur Général Délégué, qui donne la tonalité stratégique de l’opération. D’emblée, il rappelle que cette introduction en Bourse ne se résume pas à un mouvement capitalistique : «L’annonce de notre introduction en Bourse n’est pas seulement une opération financière, c’est un choix stratégique. C’est le symbole d’une entreprise qui a grandi avec le Maroc, qui a consolidé son leadership et qui se prépare à accompagner une nouvelle phase de développement national et continental.»
Avant d’entrer dans les chiffres, il rend hommage aux deux fondateurs, «deux frères, deux personnalités différentes, mais un même socle de valeurs : intégrité, exigence technique, responsabilité et rigueur». C’est cette culture, selon lui, qui a permis à SGTM de devenir l’un des acteurs les plus solides et les plus respectés du BTP marocain. Il insiste aussi sur le rôle des équipes : «Nos collaborateurs, nos techniciens, nos ingénieurs et surtout nos ouvriers portent SGTM sur le terrain. Ce sont eux qui transforment des idées en ouvrages, les plans en réalité, et nos défis en réussite.»
Sur le plan économique, Hamza Kabbaj ancre l’opération dans des fondamentaux solides. À fin mai 2025, le groupe affiche un carnet de commandes de 37 milliards de dirhams, dont une large part constituée de marchés publics, et vise des prises de commandes annuelles de 15 milliards de dirhams à horizon 2028. Le chiffre d’affaires attendu pour 2025 s’élève à 14,3 milliards de dirhams, avec une trajectoire qui doit l’emmener vers près de 20 milliards de dirhams à l’horizon 2031. Cette dynamique s’accompagne d’une progression notable de la rentabilité : le résultat net consolidé devrait franchir la barre du milliard de dirhams cette année, avec un taux de croissance annuel moyen de 9,4 % prévu jusqu’en 2031 et une marge nette stabilisée autour de 9 %. «L’IPO repose sur une réalité tangible : SGTM est une entreprise robuste, structurée, rentable, disciplinée et prête à changer d’échelle», résume-t-il.
Le dirigeant détaille également un modèle industriel intégré, qui fait de SGTM un acteur multi-spécialiste: hydraulique (plus de 40 barrages conçus et réalisés), transport (routes, viaducs, tramway, TGV), énergie et industrie, ouvrages maritimes, bâtiments de santé, d’éducation ou de culture. Cette diversité sectorielle et géographique, avec une présence dans plusieurs pays africains, est, selon lui, «l’avantage compétitif durable». Le portefeuille d’activités reste largement adossé à la commande publique, ce qui confère visibilité et résilience, tout en maintenant une exposition significative au secteur privé et aux industriels.
Mais c’est sur la gouvernance que l’impact de l’introduction en Bourse est peut-être le plus structurant. Le groupe familial, historiquement détenu par deux branches de la famille Kabbaj, va conserver cet équilibre tout en l’enrichissant de nouveaux mécanismes. «La gouvernance va évoluer, mais elle gardera le même socle : les deux branches fondatrices seront représentées au Conseil d’administration, tout en intégrant des administrateurs indépendants», explique-t-il. Trois administrateurs indépendants rejoindront ainsi le Conseil, au-delà des exigences du régulateur, afin d’«apporter un regard externe et impartial, et enrichir la vision stratégique». Deux comités clés seront au cœur de ce dispositif : un comité d’audit et des risques, chargé de garantir une gouvernance financière exemplaire, fondée sur la transparence et l’intégrité, et un comité stratégique et RSE, qui aura pour mission d’intégrer pleinement les engagements ESG dans le pilotage du groupe, de valider les investissements structurants et de veiller à l’impact environnemental et social des projets.
Dans ce nouveau cadre, la direction générale incarne la continuité de la culture maison : «Aujourd’hui, 80 % de nos dirigeants sont des ingénieurs marocains qui ont commencé leur carrière chez SGTM, à la sortie des grandes écoles. Cinq directeurs généraux opérationnels, un DGA finance, un directeur exécutif capital humain, un directeur exécutif moyens et procédures forment une équipe soudée et alignée sur les standards du groupe», précise-t-il. Il insiste également sur la montée en puissance des femmes dans l’organisation : «10 % des encadrants sont des femmes, avec une progression continue. Leur présence dans les organes de direction et sur les chantiers est un signe d’ouverture, de modernisation et de méritocratie.»
La dimension citoyenne et RSE est omniprésente dans son discours. La santé et la sécurité au travail sont décrites comme «une priorité absolue», avec une culture de prévention, de formation et de protection des équipes sur les chantiers. Une charte éthique encadre les pratiques des dirigeants, salariés et partenaires, avec un accent sur la lutte contre les pratiques non conformes. Le groupe revendique aussi une politique active de recrutement de jeunes talents – plus de 45 ingénieurs par an issus des écoles marocaines – et une forte promotion interne. Sur le plan environnemental, SGTM met en avant la réduction de son empreinte carbone, la gestion raisonnée des ressources et le recyclage sur les chantiers, dans une logique d’économie circulaire.
Pour Hamza Kabbaj, cette démarche citoyenne s’est illustrée de manière particulièrement visible lors du séisme récent qui a frappé le Royaume : «SGTM a été la première entreprise à rétablir les accès vers les villages. L’action humanitaire et la réactivité opérationnelle font partie de notre responsabilité. Être citoyen est un élément clé de notre ADN.»
Enfin, le Directeur Général Délégué replace la stratégie de SGTM dans le contexte macroéconomique du pays. Le secteur de la construction représente environ 6 % du PIB et 16 % des emplois, et reste un levier majeur de la politique d’investissement public : projets OCP, énergies renouvelables, infrastructures hydrauliques, transports, ports, plateformes logistiques, santé, éducation. Plus de 1.000 milliards de dirhams d’investissements publics sont annoncés à horizon 2031. «Dans cet environnement porteur, notre stratégie est claire : consolider notre position d’acteur central de la transformation du Maroc, renforcer nos métiers historiques, accélérer notre diversification et notre internationalisation, tout en restant fidèles à nos valeurs et à notre ancrage marocain», résume-t-il.
En clôture, l’intervention d’Idriss Berrada, Directeur Général d’Attijari Finances Corp, met cette opération en perspective avec l’histoire récente du marché marocain. Il rappelle d’abord l’ampleur de la transaction : «L’opération qui nous réunit aujourd’hui est de taille importante, c’est la plus grande IPO d’un émetteur privé depuis Maroc Telecom en 2004.» Au-delà des chiffres, il insiste sur la portée symbolique : «SGTM est un groupe familial emblématique, qui incarne une véritable famille de bâtisseurs. Ses ouvrages – stades, autoroutes de l’eau, hôpitaux – sont devenus des repères dont chaque Marocain est fier. On a tous ce réflexe de dire : au Maroc, on a réussi à faire ça dans des délais records».
Sur le plan technique, Idriss Berrada insiste sur la structuration de l’offre et son orientation «populaire». L’opération se fera intégralement par cession d’actions existantes, sans augmentation de capital, mais avec une large place accordée aux personnes physiques. «Environ 60 % de l’offre est destinée aux particuliers. C’est une volonté claire de la part de SGTM et de ses actionnaires : faire de cette IPO une opération largement ouverte aux Marocains et permettre à ceux qui se reconnaissent dans les ouvrages de SGTM de se retrouver aussi dans son actionnariat», souligne-t-il. Les salariés bénéficieront d’une décote significative et de mécanismes de protection, ce qui permet de «partager la création de valeur avec ceux qui contribuent au quotidien à la performance du groupe».
Il rappelle également les objectifs fondamentaux de l’introduction : «Le premier but de cette opération, c’est l’institutionnalisation : donner à une entreprise familiale un cadre de gouvernance renforcé, pérenne, conforme aux standards du marché. L’introduction en Bourse est la meilleure manière d’entrer dans ce cadre. Le deuxième objectif, c’est l’agilité financière : dans un secteur comme le BTP, extrêmement exigeant en capital et en réactivité, l’accès aux marchés financiers est un atout stratégique pour accompagner les investissements et les cycles de projets.»
Transparence, notoriété, discipline financière, accès au marché des capitaux, partage de la valeur avec les salariés et le grand public : pour Attijari Finances Corp, l’IPO de SGTM coche toutes les cases d’une opération structurante, tant pour l’émetteur que pour la Place casablancaise.
En définitive, l’introduction en Bourse de SGTM dépasse largement le cadre d’une simple transaction de 5,04 milliards de dirhams. Elle symbolise la maturité d’un champion national du BTP, 100 % marocain, qui choisit de s’ouvrir au marché pour mieux se projeter dans l’avenir. Portée par un carnet de commandes record, une rentabilité solide, une gouvernance modernisée et un ancrage citoyen assumé, SGTM aborde cette nouvelle étape avec une boussole claire : rester un acteur de référence au service du Royaume… et, désormais, de ses nouveaux actionnaires.
2025-11-25 12:54:20
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