Salaheddine Dahbi : «Les mesures d’urgence ont joué un rôle déterminant dans la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable»
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Au regard de la raréfaction accrue des ressources en eau au Maroc, il ne fait plus doute que le pays a grandement besoin d’une approche novatrice dans la gestion de ce secteur, qui appelle des mécanismes et des réflexes en rupture avec tout ce qui a été fait jusqu’à présent. Pour mieux comprendre la situation et se projeter dans l’avenir, Challenge a sollicité les explications de Salaheddine Dahbi, Directeur général par intérim de l’hydraulique au ministère de l’Equipement et de l’Eau.
Challenge : La raréfaction des ressources hydriques est devenue une donnée structurelle au Maroc. Dans quelle mesure la politique nationale de l’eau pourrait-elle aider à y faire face ?
Salaheddine Dahbi : Pour faire face à ces défis, le Maroc a adopté depuis les années 1960 une politique de construction de barrages visant à stocker l’eau durant les périodes pluvieuses et à l’utiliser en période de sécheresse. Cette stratégie a permis la réalisation de 156 grands barrages, 150 petits barrages, 18 ouvrages de transfert d’eau, des centaines de forages, ainsi que 17 stations de dessalement de l’eau de mer, contribuant à répondre aux besoins en eau du pays.
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Les années successives de sécheresse ont révélé la fragilité de certains systèmes hydriques nationaux. Dans ce contexte, et afin d’accélérer les investissements dans le secteur de l’eau et de diversifier les sources d’approvisionnement, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, a présidé le 13 janvier 2020 au Palais Royal de Rabat les cérémonies de signature de la convention cadre pour la mise en œuvre du Programme National d’Approvisionnement en Eau Potable et d’Irrigation 2020-2027. Ce programme, doté initialement de 115 milliards de dirhams, a été porté par la suite à 143 milliards de dirhams pour accélérer les chantiers et actualiser son contenu.
Challenge : Qu’en est-il des mesures d’urgence déployées pour atténuer les effets de la vague de sécheresse, qui a touché le pays au cours des dernières années ?
S.D. : En plus des projets structurants, des mesures urgentes ont été intégrées au programme pour faire face à la sécheresse, notamment dans certains bassins hydrauliques et zones rurales. Parmi celles-ci :
• Signature de plusieurs conventions entre les différents intervenants pour mettre en œuvre un programme urgent visant à sécuriser l’alimentation en eau potable dans trois bassins hydrauliques, ainsi que dans la région de Drâa-Tafilalet, pour un coût total de 2,335 milliards de dirhams.
• Mise en place d’un programme complémentaire en milieu rural comprenant l’achat de 582 camions citernes, 4 400 citernes, ainsi que 26 stations mobiles de dessalement et 15 stations de déminéralisation, pour un coût total de 400 millions de DH.
• Signature d’une convention relative au financement et à la mise en œuvre des mesures d’urgence pour l’alimentation en eau potable, incluant l’acquisition de 203 stations mobiles de dessalement et de déminéralisation, pour un coût d’environ 2,340 milliards de DH ;
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• Réalisation en urgence du premier tronçon du projet d’interconnexion des bassins Sebou-Bouregreg pour la sécurisation de l’AEP de l’axe Rabat Casablanca, avant le délai initialement prévu, tandis que les études techniques des autres tronçons se poursuivent en vue de lancer les travaux l’année prochaine ;
• Réalisation du projet de transfert entre barrage Oued El Makhazine et Dar Khrofa pour la sécurisation de l’alimentation en eau potable de Tanger ;
• L’interconnexion des systèmes d’eau potable des grandes agglomérations comme Agadir, Tanger ou encore le Grand Casablanca ;
• Recours accru au dessalement de l’eau de mer, avec un programme ambitieux visant 1,7 milliard de m³ par an d’ici 2030, ainsi qu’une accélération de la mise en service de nouvelles stations et l’augmentation de la capacité de celles existantes. Le Maroc compte actuellement 17 stations opérationnelles produisant 350 millions de m³ par an. Ainsi, plusieurs villes du Royaume sont approvisionnées entièrement ou partiellement en eau potable à partir de l’eau dessalée comme Laâyoune, Grand Agadir, El Jadida, Safi, Casablanca, Settat et Berrechid.
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• Enfin, plusieurs autres conventions ont été signées pour renforcer l’alimentation en eau potable en milieu rural et soutenir les provinces du Sud en matière d’approvisionnement en eau potable.
Ces mesures ont permis à notre pays de traverser cette période de sécheresse aiguë en atténuant ses impacts les plus sévères, et d’éviter ainsi une situation dramatique tant pour les citoyennes et les citoyens que pour l’ensemble de l’économie nationale. Les mesures d’urgence ont joué un rôle déterminant dans la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable, la protection des territoires vulnérables et le maintien de la continuité des services essentiels, confirmant la pertinence des choix stratégiques engagés par l’État pour renforcer la résilience hydrique du Maroc.
Challenge : Au-delà des mesures d’urgence, quelles sont les dispositions que le ministère de l’Equipement et de l’eau envisage aux moyen et long termes pour sortir du cercle vicieux ?
S.D. : D’abord, il faut rappeler que le Maroc fait face depuis plusieurs années à un stress hydrique particulièrement préoccupant. Le pays a connu sept années successives de sécheresse, et l’incertitude plane quant à la possibilité d’une huitième. Il ne s’agit plus seulement d’une variabilité climatique cyclique, mais bien d’un dérèglement durable qui annonce l’installation d’un nouveau régime climatique marqué par une raréfaction accrue des ressources en eau.
Face à cette situation critique, le Maroc a engagé une politique nationale ambitieuse et structurée visant à renforcer la sécurité hydrique du pays et à garantir une gestion durable de ses ressources, conformément aux Hautes Orientations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste. Les discours Royaux ont permis de définir une feuille de route claire, fixant un objectif stratégique : assurer l’alimentation en eau potable à 100 % et couvrir 80 % des besoins en eau d’irrigation, quelles que soient les conditions climatiques.
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Cette vision proactive repose sur une approche anticipative intégrant systématiquement les impacts du changement climatique. Elle s’articule autour de trois piliers fondamentaux : Le premier pilier concerne la mobilisation continue des ressources en eau, à travers la poursuite de la construction de grands et moyens barrages, l’essor du dessalement de l’eau de mer et le développement de l’interconnexion des bassins afin d’assurer une meilleure solidarité hydrique entre les régions. Le deuxième pilier porte sur la gestion de la demande, en privilégiant l’efficacité hydrique, la réduction des pertes dans les réseaux et la réutilisation des eaux usées traitées. Le troisième pilier vise le renforcement de la gouvernance, via une planification nationale et territoriale intégrée, permettant une gestion plus proactive et mieux coordonnée.
Ainsi, notre pays poursuit une trajectoire volontariste visant à renforcer sa sécurité hydrique, tout en s’adaptant aux défis imposés par la variabilité climatique et la raréfaction des ressources, dans une logique de durabilité, d’anticipation et de résilience.
2025-12-10 11:00:00
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