Réseaux sociaux: l’Australie montre la voie
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L’entrée en vigueur d’une loi interdisant l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 16 ans marque un tournant. Des applications telles qu’Instagram, Snapchat, X, Facebook ou encore Reddit sont désormais soumises à l’obligation de bannir tous les utilisateurs de moins de 16 ans, sous peine d’amendes. Pour une application comme TikTok, même si l’IA et des modérateurs humains filtrent les contenus toxiques, ces plateformes contiennent encore des images et des vidéos particulièrement choquantes. Au Maroc, la députée du Parti authenticité et modernité, Hanane Atarguine, lance l’alerte depuis plusieurs mois. Décryptage
Les adolescents australiens sont privés de réseaux sociaux. Ils se sont réveillés, mercredi 10 décembre, déconnectés des applications sur lesquelles ils pouvaient passer plusieurs heures par jour. Une première mondiale pour « reprendre le contrôle » face aux plateformes, s’est félicité le Premier ministre du pays, Anthony Albanese. Dans les détails, cette nouvelle loi contraint les géants Facebook, Instagram, YouTube, TikTok, Snapchat ou encore Reddit ont désormais obligation de bannir les utilisateurs australiens âgés de moins de 16 ans. Les plateformes de streaming Kick et Twitch, ainsi que les réseaux sociaux Threads et X, sont aussi concernés. « Nous respecterons nos obligations légales, mais nous restons préoccupés par le fait que cette loi affaiblira la sécurité des adolescents », a affirmé Meta dans un communiqué.
Il faut noter que l’espace numérique ces dernières années est devenu un véritable champ de bataille. Bien qu’étant virtuelle, les conséquences de déviances sur ces plateformes ont bien des impacts dans la vraie vie. Au Maroc, par exemple, avec une communauté de 9,27 millions d’utilisateurs TikTok âgés de 18 ans ou plus, les critiques à l’égard de TikTok et ses dérives sur la jeune génération commencent à se faire entendre. L’addiction numérique, la corruption des valeurs et les contenus inappropriés pour les enfants sont, entre autres, les raisons qui poussent la Commission de l’éducation, de la culture et de la communication à la Chambre des représentants à faire une proposition visant à interdire TikTok au Maroc.
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Parmi eux, la députée du Parti authenticité et modernité, Hanane Atarguine, qui en décembre dernier avait adressé une question orale à la ministre déléguée en charge de la Transition numérique et de la Réforme administrative, Ghita Mezzour, l’interpellant sur les mesures à prendre par le gouvernement pour protéger les moins de 18 ans des effets « néfastes » de ces plateformes. Selon l’élue, cette application est en train de détruire toute une génération de jeunes Marocains avec son contenu « médiocre et véhiculant des valeurs touchant à la dignité des Marocains ».
Contacté par Challenge, Kadili Abdelilah, le président de la Fondation Tamkine, spécialisée dans l’edtech, nous confie: « il est essentiel d’établir des règles claires et des normes de conduite pour l’utilisation de TikTok au Maroc. Les autorités peuvent travailler en collaboration avec les utilisateurs, les influenceurs et les experts en médias sociaux pour promouvoir des pratiques responsables et éthiques. Des campagnes de sensibilisation peuvent être lancées pour rappeler aux utilisateurs les conséquences de leurs actions en ligne, tout en encourageant le respect mutuel et la tolérance. En résumé, plutôt que d’interdire TikTok au Maroc, il serait plus judicieux de promouvoir une utilisation responsable de cette plateforme. En éduquant les utilisateurs sur les bonnes pratiques et en mettant en place des mesures de régulation appropriées, il est possible de préserver la liberté d’expression tout en garantissant le respect des droits et des valeurs de chacun ».
Une régulation adaptée ?
« L’établissement de ces plateformes au Maroc devrait s’accompagner de plusieurs conditions essentielles pour refléter notre engagement envers un environnement numérique sain, éducatif et économiquement avantageux pour notre pays ; Par ailleurs, il faut noter que même en Chine, l’utilisation de la plateforme TokTok est encadrée par un dispositif très strict. Il y a trois ans, ByteDance, la maison mère de TikTok, révélait que la version chinoise de la célèbre application de vidéos courtes, baptisée Douyin, ne serait désormais plus accessible aux utilisateurs de moins de 14 ans au-delà de quarante minutes par jour ainsi qu’entre 22 heures et 6 heures du matin», nous confie Redouane El Haloui Président de l’Apebi.
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Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’était penché sur la question, mettant en garde contre les risques liés à une exposition précoce et excessive aux écrans. « Ce n’est pas l’écran en lui-même qui est dangereux, mais la manière dont il est utilisé », souligne le CESE, insistant sur la nécessité d’un encadrement strict. Dans un monde où le numérique façonne le quotidien, l’interdiction pure et simple semble irréaliste. La véritable question est donc celle de l’équilibre : comment permettre aux enfants de bénéficier des atouts des nouvelles technologies sans nuire à leur développement ?
Quand le CESE s’active !
Le CESEi recommande dans une note «l’utilisation des outils de l’intelligence artificielle pour détecter de manière proactive les contenus inappropriés et analyser les comportements à risque des utilisateurs». Le CESE suggère également « l’intégration de l’éducation numérique dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge, en mettant l’accent sur le développement des compétences et de la pensée critique de l’information», et appelle à «l’organisation de campagnes d’information au profit des familles et des utilisateurs sur les risques associés aux réseaux sociaux».Se penchant sur la popularité au Maroc des réseaux sociaux, tels que Facebook, Instagram ou TikTok, le Conseil a révélé qu’ «environ 9 personnes sur 10 utilisent ces plateformes, et 97% des enfants de moins de 18 ans y ont accès».
Selon le CESE, que «l’utilisation excessive et inappropriée de ces technologies et plateformes numériques a des effets négatifs sur la santé mentale et physique des enfants, entraînant des comportements addictifs entraînant violence, anxiété, isolement, automutilations, troubles du sommeil, dépression, et parfois des tentatives de suicide». Ces risques «sont exacerbés par l’absence ou la faiblesse des mécanismes juridiques adaptés à la protection des enfants dans un environnement numérique», ajoute le Conseil.
Une promotion de l’individu singulier ?
Dans un long entretien accordé au journal Le Figaro, l’auteur Pascal-Raphaël Ambrogi a tiré à sa manière la sonnette d’alarme. Pour ce dernier, les écrans sont un vecteur accélérateur de cette transformation de l’Homme, à un être ou individu singulier. « Dans un contexte où les piliers porteurs de notre fabrique morale ont lâché, comme l’a montré mon confrère Pierre Manent, l’individu promu est un sujet autonome, mû par ses seuls intérêts particuliers et ceux du marché ; ses désirs, ses prétentions, sont les sources de droit au mépris du bien commun. L’Homme assujetti ne pense plus sa relation à d’autres hommes, au sein d’une même société» confie l’auteur au Figaro.
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Rappelons qu’avant lui, Hannah Arendt avait mis le doigt sur cette société en devenir. «L’homme moderne a perdu le monde pour le moi.» « Un moi sans spiritualité, sans inquiétude intérieure qui fait la vie de l’esprit, un moi ravagé par le narcissisme destructeur ». Il qualifie cette surexposition à l’écran de destruction cérébrale. Notons d’ailleurs que par ses travaux le Conseil supérieur des programmes avait mis en valeur les potentialités et les risques d’utilisation du numérique. Ladite étude avançait que l’environnement numérique récréatif nuit à l’apprentissage du langage et de la lecture. C’est l’une des sources de l’illettrisme. Il contraint la concentration et la mémorisation. Il entrave la transmission des savoirs culturels et fondamentaux de base. Il a des effets négatifs sur le développement de l’enfant, le privant d’interactions humaines, de l’exploration sensorielle du monde essentielle au développement cérébral.
« Aujourd’hui, nul ne peut se détourner de la vérité. Les bébés sont biberonnés au zapping et au troll. Qui pourrait quoi que ce soit contre le progrès ? Même le papier et le stylo battent de l’aile et se font écraser par les écrans. On n’y peut rien contre l’envahissement de notre écosystème par l’image et le son.
Les écrits sont réduits à un exercice d’élite et sont devenus un espace illicite, où tous n’osent pas adhérer. Un lieu réservé à une espèce en voie de disparition, face à une invention en évolution permanente, qui agit par fascination et séduction sans limites. Les familles, tiraillées entre un héritage patrimonial fait d’ingrédients éclectiques – livres, manuscrits, images –, ne savent plus séparer le bon de l’ivraie lorsque l’exposition au matraquage d’Internet bat son plein » nous confie l’écrivain Fouad Souiba.
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Et d’ajouter : « d’un outil de communication, le Net devient un présentoir où tout un chacun commercialise son produit. Cette surconsommation du matériel et de l’immatériel, c’est-à-dire des marchandises à consommation domestique à grande échelle aux œuvres d’esprit prisées par une élite spécifique, façonne les enjeux des gros bonnets. Parmi les cibles mises en orbite par les multinationales de la Silicon Valley, les enfants occupent une place de choix. Les algorithmes qui leur sont dédiés excellent dans l’analyse de leurs envies et désirs, et les talonnent dans leur évolution. Ces jeunes donnent plus que les autres catégories la tendance. Pourquoi ? Parce qu’ils sont, plus que les autres tranches d’âge, des consommateurs du Net à des degrés inégalés. Plus ils échangent sur les réseaux interconnectés, plus on détermine leurs penchants et leurs préférences en matière de produits de consommation ».
2025-12-12 17:30:00
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