Politique de l’eau: « La transformation silencieuse » promise par Nizar Baraka
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Quand il a pris ses fonctions comme ministre de l’Equipement et de l’Eau, en octobre 2021, Nizar Baraka s’est vite trouvé confronté à l’un des dossiers brûlants du moment, à savoir le stress hydrique. Sans faire trop de vagues, il a sonné la mobilisation générale de ses équipes. Les mesures d’urgence ont permis, jusque-là, de se sortir du goulot d’étranglement, mais beaucoup reste à faire pour concrétiser « la transformation silencieuse » promise par le Chef du Parti de l’Istiqlal.
Même avant le déclenchement de la vague de sécheresse qui sévit depuis sept ans, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a fait de la question stratégique de l’eau une priorité absolue, au vu de ses implications sur la vie sociale et l’économie nationale, dont une bonne partie est étroitement liée au secteur agricole. Donc, il fallait passer à l’action et mettre en œuvre des mesures urgentes pour éviter le scénario catastrophe.
« Notre pays a fait face, au cours des dernières décennies, à une pression sur les ressources hydriques sans précédent, en raison du changement climatique et la succession des années de sécheresse. Toutefois, le Maroc ne s’est pas contenté de faire le diagnostic, mais il a emprunté une voie audacieuse fondée sur l’innovation et l’adaptation », a assuré le ministre devant le Congrès Mondial de l’Eau, qui vient de se tenir à Marrakech.
Une politique conjoncturelle couronnée de succès
Le projet emblématique du programme d’urgence demeure la réalisation du premier tronçon de l’autoroute de l’eau en vue de sécuriser l’approvisionnement de la capitale Rabat et ses environs, mais aussi la partie Nord de la métropole Casablanca. Ce canal souterrain, long de de 67 km, a été construit en un temps record (9 mois) et donne un avant-goût de l’ambitieuse politique de transferts interbassins. Désormais, quelque 400 millions de m³ sont acheminés vers le Bouregreg depuis le bassin de Sebou, alors que ces quantités étaient déversées auparavant dans l’océan Atlantique.
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L’autre accomplissement crucial est l’accélération des projets de dessalement de l’eau de mer, avec l’objectif d’atteindre 1,7 milliard m³ à l’horizon. Le Maroc compte, actuellement, 17 stations opérationnelles produisant 350 millions de m³ par an. Quatre autres stations sont en cours de construction pour une capacité globale de 567 millions m³, alors que onze supplémentaires sont programmés.
Ces deux mesures et tant d’autres, qui font partie du Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027, ont permis d’éviter le pire. Cependant, cela ne doit pas suffire pour un pays exposé à des pressions climatiques extrêmes, au tarissement des nappes et à une urbanisation galopante. En plus de ces défis, la justice territoriale, que tout le monde appelle de ses vœux, requiert une gouvernance efficiente du secteur et des solutions novatrices pour garantir un accès équitable à l’eau.
Un engagement collectif
«Le Maroc opère une transformation silencieuse mais profonde dans les modes de gestion de l’eau», a promis Nizar Baraka, qui a mis à profit le Congrès Mondial de l’Eau pour présenter les chantiers prioritaires pour le Royaume, qui engagent l’ensemble des acteurs concernés et qui allient innovation et volontarisme.
D’abord, le Ministre a révélé que le Maroc va s’activer dans l’adoption de l’approche Nexus Eau–Énergie–Alimentation, qui est une approche holistique reconnaissant les interconnexions entre les trois éléments, qui doivent être gérés de manière intégrée plutôt que sectorielle. Elle vise à optimiser la sécurité et la durabilité dans ces trois domaines en identifiant les synergies.
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«Hormis quelques initiatives isolées, le Maroc n’adopte pas encore l’approche Nexus de manière structurelle», avait établi le CESE dans un avis, ajoutant que malgré les efforts déployés pour renforcer la gouvernance globale des trois secteurs, «les décisions continuent d’être prises de manière sectorielle, souvent sans tenir compte des interdépendances».
La concrétisation de cet objectif constituerait un changement de paradigme majeur dans la gestion des trois domaines, qui viennent en tête des préoccupations nationales. En intégrant ces secteurs dans un cadre commun, le Nexus permet d’assurer une exploitation plus rationnelle des ressources naturelles. Ce modèle intégré favorise non seulement la réduction des tensions intersectorielles, mais aussi la création des bénéfices économiques, sociaux et environnementaux.
Innover pour avancer
Dans ce même état d’esprit de recherche de synergies entre secteurs interdépendants, Nizar Baraka a mis l’accent sur l’importance d’accroître l’usage de l’irrigation intelligente par l’utilisation de capteurs permettant de surveiller en temps réel l’humidité du sol et les conditions météorologiques.
A l’opposé des méthodes traditionnelles, cette technologie permet un meilleur ciblage des zones qui ont besoin d’eau et un contrôle du niveau d’humidité, évitant ainsi les problèmes de sur-arrosage ou de sous-arrosage. De plus, elle contribue également à améliorer la santé des cultures, à maximiser les rendements, ainsi qu’à prévenir les problèmes tels que les ravageurs ou les maladies.
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L’autre changement de taille dicté par la raréfaction concerne les domaines d’utilisation des eaux usées traitées. Jusque-là dédiées à l’arrosage des espaces verts et des golfs, elles peuvent, désormais, être mobilisées dans l’agriculture et l’industrie. Le ton a été déjà donné dans le Discours du Trône de 2024. «Nous donnons nos orientations pour l’adoption d’un programme plus ambitieux de traitement et de réutilisation des eaux. De fait, les volumes ainsi traités peuvent représenter une source importante pour couvrir les besoins des secteurs de l’irrigation, de l’industrie et d’autres activités», avait souligné le Souverain.
D’après des données du ministère de l’Intérieur, le Programme national d’assainissement liquide et d’épuration des eaux usées (PNA) a permis la construction de 187 stations d’épuration, avec un taux de raccordement au réseau à 83,5% et un taux de traitement des eaux usées à 57,5%. A fin 2024, ces ouvrages ont produit environ 40 à 50 millions de m³. Le PNA ambitionne d’augmenter les volumes réutilisés à 100 millions de m³ par an à l’horizon 2027, puis à environ 573 millions de m³ d’ici 2040, ce qui pourrait libérer des quantités pour les usages industriel et agricole à l’avenir.
Chaque goutte compte
Aussi, Nizar Baraka annonce la prochaine extension de la technologie des panneaux photovoltaïques flottants aux barrages du Sud et des montagnes afin de lutter contre le phénomène de l’évaporation des eaux. Cette solution a un double effet : produire de l’énergie renouvelable et réduire les pertes d’eau, qui peuvent atteindre jusqu’à 30 % du volume des retenues.
En été, l’évaporation au niveau du barrage Oued Rmel passe de 3.000 m³ par jour en temps normal à près de 7.000 m³. La couverture partielle par panneaux solaires devrait permettre d’atténuer ce phénomène, tout en assurant une alimentation durable du port de Tanger Med et en maintenant l’approvisionnement en eau potable. Seulement, l’ensemble de ces efforts, doublés des intentions les plus sincères du monde, seraient vains, si on néglige les facteurs de rationalisation des ressources hydriques et d’efficacité dans leur gestion. Il faudrait développer cette capacité collective à utiliser l’eau de manière optimale, en minimisant les pertes et en maximisant l’utilité de chaque mètre cube mobilisé.
2025-12-09 11:15:00
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