PLF -2026 : entre réalité des chiffres et discours social
Le projet de loi de finances (PLF) n’est pas seulement un acte formel. C’est un moment exceptionnel où la communication officielle devrait faire place à des débats publics responsables. C’est d’ailleurs l’un des principaux messages adressés par le Souverain lors du dernier discours aux parlementaires. La lecture analytique et critique des chiffres contenus dans le projet de loi de finances de l’année 2026 (PLF-2026) peut révéler une réalité différente du discours gouvernemental. En effet, faire parler les chiffres permet de cerner les choix publics réels et de dénuder l’Etat dans ses « parties les plus intimes ». Cette démarche, loin de toute polémique, peut mener, de manière constructive, vers des pistes mélioratives.
1. Création des postes budgétaires : priorité à la sécurité
C’est la première fenêtre ouverte (presque brutalement) sur la réalité des choix publics. En effet, au niveau de la création des postes budgétaires (PB), les chiffres du PLF-2026 disent autre chose que le discours social du gouvernement. Ainsi, le nombre de PB attribués au ministère de l’Intérieur (premier bénéficiaire des PB) est de 13 000, sur un total de 36 895 PB. Ce qui représente 35,23% du total. Par rapport à l’année 2025, la hausse est de 67,87%. De même, le nombre de PB attribué dans le PLF-2026, à la délégation générale de l’administration pénitentiaire, a connu une hausse de 102% (2020 PB en 2026 et 1000 PB en 2025). Cela fait réfléchir, dans la mesure où la récente réforme du Code pénal, qui a intégré des « peines alternatives », favorables au « dépeuplement des prisons », devrait, en principe, se traduire par une réduction des effectifs de gardiens des prisons. Quant au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, la hausse est de 82,85%, en 2026, par rapport à 2025 (350 PB en 2025 et 640 PB en 2026). C’est aussi le cas du ministère de la Justice, avec une hausse de 46,34% (205 PB en 2025 et 300 PB en 2026). Le Chef de gouvernement a aussi été gâté en s’accordant 125 PB en 2026, contre 70 PB en 2025, soit une hausse de 78,57%. Dans un contexte préélectoral, le risque est évident en matière de pratiques de clientélisme partisan.
Par contre, pour le ministère de la Santé et de la protection sociale, la hausse a été de 23,07% (6 500 PB en 2025 et 8 000 PB en 2026). En fait, par rapport au nombre total de PB, le % est passé de 22,48%, en 2025, à 21,68%, en 2026. C’est donc une baisse relative. Comparativement, pour le ministère de l’Intérieur dont la mission première est de nature sécuritaire, le % par rapport au nombre total des PB est passé de 26,79%, en 2025, à 35,23%, en 2026.
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Le ministère de l’Inclusion économique (…), qui comporte aussi l’emploi, et le ministère de la Solidarité (…) ont connu respectivement une hausse de 45,83% (24 PB en 2025 et 35 PB en 2026) et de 50% (20 PB en 2025 et 30 PB en 2026). En fait, ce sont là des « miettes » pour un « Etat social ». C’est surtout le cas de l’inspection du travail qui fait largement défaut, compte tenu de l’effectif plus que symbolique des inspecteurs du travail (moins de 80 au niveau national), et encore plus de la médecine du travail, quasi-inexistante. Au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur (…), le nombre de PB prévu est identique à celui de 2025 (1 759 PB), malgré le manque important d’enseignants dans les universités. Le% par rapport au total des PB a même diminué pour passer de 6,08%, en 2025, à 4,76%, en 2026. D’où, là aussi, une baisse relative. Certains ministères ou institutions ont même connu une baisse absolue des PB en 2026, par rapport à 2025. C’est notamment le cas du ministère de la Défense, soit – 5%, du ministère de l’Agriculture (…), soit – 13,04%, du Secrétariat général du gouvernement, soit – 20%, et du Haut- Commissariat au Plan (HCP), soit – 66,66% (60 PB en 2025 et 20 PB en 2026).
Par ailleurs, certaines institutions, malgré leur importance stratégique en matière de réforme du système de gouvernance, point faible du gouvernement actuel, ont vu stagner le nombre de PB qui leur sont attribués. C’est notamment le cas des juridictions financières (Cour des Comptes), avec 60 PB pour chacune des années 2025 et 2026. Il en est de même de l’Instance nationale de probité (…), soit 35 PB pour chacune des années 2025 et 2026 et du Conseil national des droits de l’homme (15 PB pour chacune des années 2025 et 2026).
Ainsi, à travers la lecture de ces chiffres relatifs aux PB, il est difficile d’être convaincu quant aux «intentions réellement sociales» contenues dans le discours gouvernemental.
2. Dépenses du budget général des principaux secteurs sociaux
Les dépenses ordinaires et d’investissements du budget général (DOIBG) du secteur public de santé ont connu une hausse de 30% par rapport à 2025. Elles demeurent cependant inférieures à celles affectées au ministère de l’Intérieur ou à celui de la Défense (Voir tableau ci-contre). En 2ème position, c’est la Délégation générale à l’administration pénitentiaire qui a bénéficié d’une hausse de 29,46% des DOIBG, par rapport à 2025. Le secteur de l’Education nationale et le ministère de l’Intérieur ont connu une hausse presque égale, respectivement 13,13% et 13,19%, par rapport à 2025. Ainsi, si le social avance relativement, au niveau du BG, la sécurité demeure néanmoins une priorité. C’est surtout le cas de la délégation générale à l’administration pénitentiaire, alors que le nouveau Code pénal a prévu des « sanctions alternatives » à la détention. Ce qui devrait, en principe, alléger le « coût carcéral » au niveau des finances publiques (FP). Par ailleurs, malgré la hausse des DOIBG soulignée, en matière de santé publique, ces dépenses représentent moins de 3% du PIB. Ce qui est loin de la moyenne de 10,4% enregistrée en Union européenne, en 2022, ou de la moyenne de 8,8% observée, avant le Covid, en 2019, au niveau de l’OCDE. De même, le budget de certaines institutions stratégiques en matière de réforme du système de gouvernance, telles que le CNDH et l’Instance nationale de probité (…), demeure marginal. Ainsi, le PLF-2026 prévoit respectivement des DOIBG de 219,90 MDH et de 145,17 MDH, avec même une baisse de 23,56% pour l’Instance nationale de probité (…). Ce qui est tout à fait paradoxal, compte tenu de la situation grave en matière de corruption qui ne cesse pas d’empirer dans presque tous les secteurs, et au moment où le défi de la « bonne gouvernance » s’impose de toute évidence comme une priorité nationale.

3. Comptes spéciaux du Trésor : une gestion dispersée du social
Les Comptes spéciaux du Trésor (CST) permettent d’agir plus efficacement, surtout face à des situations particulières et urgentes. Néanmoins, leur mode de gestion est moins transparent et leur contrôle, surtout préalable, est restreint, comparativement aux opérations budgétaires courantes. La multiplicité et la dispersion actuelle des 14 CST dédiés au « social » reflètent la persistance d’un mode de gestion cloisonné et de l’absence d’une vision globale, intégrée et cohérente.
A lui seul, le « Fonds d’appui à la protection sociale et à la cohésion sociale » représente 60,84% du montant des ressources des 14 CST recensés et ayant un lien direct avec le « social ». Certains CST ont connu une hausse importante dans le PLF-2026. C’est le cas du « Fonds pour la promotion de l’emploi des jeunes » qui est passé de 888 MDH, en 2025, à 2 000 MDH, en 2026, soit une hausse de 125%.
4. Des CST dédiés aux collectivités territoriales mais à faible impact
Les inégalités territoriales sont l’une des principales caractéristiques soulignées officiellement. Pourtant, les collectivités territoriales (CT) disposent de «recettes fiscales transférées» assez importantes, représentant plus de 80% du montant global des recettes fiscales locales (recettes fiscales transférées, recettes fiscales gérées par l’Etat pour le compte des CT et recettes fiscales propres). Le CST le plus important est intitulé «Part des CT dans le produit TVA».
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Le PLF 2026 prévoit un montant de 57,60 milliards de dirhams (MMDH). Ce montant représente 34,39% du montant total des dépenses CST, en 2026. En 2025, le montant a été de 51,26 MMDH. Ainsi, en 2026, la hausse prévue est de 11%. Les trois CST dédiés aux CT représentent dans le PLF-2026, plus de 40% du montant total des CST. C’est dire l’importance des ressources mobilisées par l’Etat au profit des CT. En fait, le défi principal des CST dédiés aux CT est celui de la transparence et de la bonne gouvernance, à travers notamment l’instauration de mécanismes fiables, crédibles et permanents de reddition des comptes. C’est à ce niveau que les efforts devraient être le plus concentrés pour que les ressources disponibles soient mobilisées dans des projets d’amélioration des conditions de vie et des capacités des populations, en particulier dans les zones les plus défavorisées. Un système de répartition équitable et solidaire, avantageant ces zones, peut être conçu et mis en œuvre.
5. Le besoin d’un rééquilibrage de la vision officielle entre le corps et l’esprit
Le PLF-2026 prévoit dans le CST «Fonds national de développement du sport» un montant de 800 MDH. Par contre pour le « Fonds national pour l’action culturelle », le montant prévu est de 60 MDH, soit à peine 7,5% du premier. Il en est de même du « Fonds national de soutien à la recherche scientifique et au développement technologique », dont le montant est de 70 MDH, soit 8,75% du premier. C’est là un déséquilibre flagrant et inquiétant. Le Marocain n’a pas besoin uniquement de « musculation ». La culture et la science sont tout aussi indispensables pour « un esprit sain dans un corps sain ».

2025-11-10 13:47:00
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