Les entreprises, notamment dans des filières exportatrices clés telles que l’automobile, le textile ou l’agro-industrie, doivent désormais composer avec des impératifs de traçabilité, de fluidité et de réactivité en temps réel. L’efficacité logistique ne se mesure plus seulement en kilomètres parcourus ou en coûts réduits, mais en capacité à synchroniser, anticiper et livrer avec précision. C’est dans cette mutation silencieuse que se joue, en grande partie, la place du Maroc au sein des chaînes de valeur mondiales.
Stratégie à l’horizon 2030 : rattraper le temps perdu
Lancée en 2010, la Stratégie nationale visait à réduire les coûts logistiques – autour de 15% du PIB à l’époque – à environ 8% à l’horizon 2030.
Les priorités portent sur le développement de zones logistiques multimodales, l’amélioration de la connectivité portuaire, ferroviaire et routière, ainsi que le soutien à la professionnalisation du secteur. Malheureusement, cette stratégie accuse d’importants retards à plusieurs niveaux. L’un des principaux obstacles reste l’accès au foncier, qui freine l’aménagement de certaines zones logistiques. À ce sujet, l’Agence marocaine du transport et de la logistique (AMDL) prévoit de doter progressivement les grandes métropoles de zones logistiques périphériques. Ce programme, visant à mobiliser près de 750 hectares d’ici 2028, facilitera la mutualisation des flux tout en désengorgeant les zones urbaines, via le déploiement d’équipements logistiques intermédiaires et une meilleure coopération avec les collectivités territoriales.
À ces retards s’ajoutent la lenteur des réformes douanières et un manque persistant de coordination interinstitutionnelle. En 2022, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait déjà alerté sur la nécessité d’accélérer la gouvernance logistique. Dans un monde marqué par des bouleversements économiques et géopolitiques de plus en plus imprévisibles, asseoir une véritable souveraineté logistique devient un impératif.
Sur ce point, le Maroc doit relever plusieurs défis, notamment l’insuffisance d’infrastructures de stockage et de distribution stratégiques. Conformément aux Hautes Instructions Royales, le Royaume a ainsi lancé, dans les douze régions, un programme ambitieux de plateformes de réserves stratégiques doté de 7 milliards de dirhams. Conçues selon les standards internationaux, ces infrastructures doivent garantir une capacité d’intervention dans un délai moyen de six heures en cas d’urgence. Déjà, le 7 mai dernier, ont été inaugurés les travaux d’édification d’une plateforme de réserves d’urgence à Ameur, dans la région de Rabat-Salé-Kenitra.
Parmi les autres défis figurent la fragmentation du tissu des transporteurs –composé majoritairement de petits opérateurs disposant de moins de cinq camions– ainsi que l’inadéquation des capacités douanières et des corridors logistiques dans les zones enclavées. Le déficit de profils qualifiés reste également préoccupant. Le secteur nécessite des compétences en logistique industrielle et en Data Science appliquée à la supply chain. Bien que plusieurs établissements commencent à combler ce vide, la formation continue demeure insuffisante. Enfin, la dépendance vis-à-vis de prestataires logistiques étrangers pèse encore sur l’autonomie du système.
Pas de souveraineté sans flotte maritime nationale
Malgré des infrastructures logistiques de classe mondiale – ports, aéroports, réseaux routiers –, le Maroc accuse un important retard dans le développement de sa flotte maritime. Alors que la Royal Air Maroc prévoit l’acquisition de 200 avions d’ici 2037, l’objectif de constituer une flotte de 100 navires à l’horizon 2040 demeure sans concrétisation effective.
Le Royaume a cependant commandé une étude auprès du cabinet Boston Consulting Group (BCG) afin de structurer une flotte nationale de marine marchande, conformément aux Hautes Instructions de S.M. le Roi Mohammed VI, énoncées dans Son Discours à l’occasion du 48e anniversaire de la Marche Verte. L’objectif : renforcer le secteur maritime comme pilier du commerce extérieur et de l’économie nationale. Cette initiative vise également à valoriser les infrastructures portuaires (Tanger Med, Nador West Med, Dakhla Atlantique) et à développer les liaisons commerciales avec l’Afrique de l’Ouest, le Sahel, l’Europe du Sud et la Méditerranée orientale.
Les innovations technologiques pour une meilleure performance
En dépit des obstacles, le secteur logistique marocain connaît une profonde métamorphose, stimulée par des innovations technologiques de plus en plus intégrées. L’adoption de solutions telles que les WMS (Warehouse Management System), les TMS (Transport Management System) ou les capteurs IoT (Internet des objets) se généralise progressivement. Plusieurs grands acteurs marocains ont intégré des plateformes de visibilité en temps réel.
Cependant, cette transformation reste inégale, de nombreuses PME n’ayant pas encore franchi le cap de la digitalisation. Certaines startups tirent néanmoins leur épingle du jeu en proposant des solutions adaptées au contexte local tout en affichant des ambitions internationales. En misant sur la technologie, la durabilité et l’inclusion sociale, ces jeunes pousses participent à la construction d’un écosystème logistique plus résilient et performant.
L’apport de PortNet
Sur un autre registre, la plateforme PortNet joue un rôle central dans la modernisation logistique nationale, en simplifiant les procédures d’import-export via un guichet unique digitalisé. Avec plus de 120 services en ligne et une communauté active de plus de 90.000 utilisateurs –importateurs, exportateurs, banques, administrations, compagnies maritimes, transitaires, manutentionnaires–, PortNet contribue à réduire significativement les délais et les coûts logistiques. Le délai moyen de séjour des marchandises est ainsi passé de 21 à 7 jours. L’intelligence artificielle émerge aussi comme levier stratégique pour optimiser les flux, anticiper les évolutions commerciales et améliorer l’expérience utilisateur. Des projets pilotes sont en cours pour concrétiser cette vision à haute valeur ajoutée.
L’industrie navale, nouveau levier stratégique du Maroc à l’horizon 2030
Le développement de l’industrie navale s’impose aujourd’hui comme un levier stratégique de croissance économique et de souveraineté industrielle pour le Maroc.
Erigé en secteur stratégique par la Charte de l’investissement, il fait l’objet d’un plan directeur ambitieux à l’horizon 2030, visant la mobilisation de plus de 4,5 milliards de dirhams (MMDH) d’investissements (publics et privés), la création de 5.500 à 8.000 emplois directs, ainsi qu’un produit intérieur brut (PIB) additionnel de plus de 1,5 MMDH. Aujourd’hui, l’industrie navale marocaine suscite l’intérêt des grands noms du secteur. Des acteurs comme le groupe français Naval Group ou le géant sud-coréen Hyundai Heavy Industries (HHI) ont manifesté leur intérêt pour le futur chantier naval de Casablanca, appelé à devenir le plus vaste d’Afrique. L’Agence nationale des ports (ANP), en tant qu’autorité concédante, a lancé un appel d’offres international pour désigner un opérateur spécialisé chargé de l’aménagement, de l’équipement, de l’exploitation et de la maintenance de cette infrastructure stratégique, dans le cadre d’un contrat de concession d’une durée de trente ans. Le nouveau chantier comprend quatre installations majeures : une forme de radoub de 244 mètres sur 40, une plateforme élévatrice de 150 mètres sur 28 mètres capable de soulever jusqu’à 9 000 tonnes, une darse de 62 mètres sur 13 équipée d’un portique à sangles de 450 tonnes, ainsi que 820 mètres linéaires de quais d’armement.
2025-05-13 10:19:00
