Les ravages de la Pouffa: Dans l’univers d’un paradis artificiel
C’est la galette du pauvre! «La Pouffa est une drogue de synthèse à bas prix. Un mélange hétérogène de fabrication locale. Cette substance contient des résidus de cocaïne ajoutés à des produits chimiques et des pilules pharmaceutiques. Elle est apparue pour la première fois en 2020 au Maroc», selon l’Observatoire national de la criminalité (Lire entretien).
Cet organisme relève du ministère de la Justice et a été créé en novembre 2024. L’Observatoire compte parmi ses membres la Direction générale de la police judiciaire (DGSN) et la Gendarmerie royale. Ces institutions lui ont d’ailleurs fourni les chiffres sur lesquels se base son étude sur «La drogue de la Pouffa au Maroc: Des défis émergents».
Ainsi, 18,204 kg de cette substance hautement addictive ont été saisis entre 2022 et 2024 (Voir Chiffres-clés). Sa consommation «s’est propagée significativement» durant la pandémie du Covid-19 et le confinement l’ayant accompagné.
Les consommateurs de la Pouffa avaient des difficultés à s’approvisionner en drogues dures importées à cause de la fermeture des frontières et la limitation des déplacements à l’intérieur du territoire national. Ses utilisateurs ignorent ses méfaits réels sur le système nerveux et l’addiction rapide à laquelle ils s’exposent.
 Les régions Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra trustent les 1res positions
Les régions Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra trustent les 1res positions
Cette ignorance constitue en elle-même un danger. «C’est une drogue de synthèse que l’on fume. Son consommateur se méprend sur sa composition et l’assimile par erreur à une drogue douce comme le cannabis», relève le Pr Mohamed Toussirt spécialiste des drogues et leurs effets psychosocial et économique. Cet amalgame sur la nature et les dangers réels de cette substance hallucinogène a également participé à sa popularisation. «Les hommes en sont majoritairement consommateurs à hauteur de 89%. Trois décès ont été recensés entre 2022 et 2024 dont celui d’une femme», précise les statistiques officielles.
Sur le plan géographique, les régions de Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kénitra trustent les premières positions en termes de quantités saisies, de procès-verbaux et de personnes arrestées. Ces zones urbaines situées sur la côte atlantique comptent une population au pouvoir d’achat élevé par rapport à la moyenne nationale. Elles constituent aussi de grands marchés pour les trafiquants dans la mesure où une région comme Casablanca-Settat est la plus peuplée et la plus concentrée économiquement (Voir illustration). Donc, plus de consommateurs potentiels et plus d’argent à récolter. Les voies de transport sont plus denses dans ces régions. Densité qui permet aux trafiquants de distribuer plus facilement et plus rapidement leur venin.
Les provinces du sud épargnées mais pas la campagne
 
Plus de 18 kilos de Puffa saisis entre 2022-2024. La région de Casablanca-Settat est largement devant avec 14 kg suivie par Tanger-Tétouan-Al Hoceïma et Rabat-Salé-Kénitra. Cette répartition est valable aussi bien en milieu rural qu’urbain de ces trois régions
Deux détails d’ordre géographique sont importants à souligner. La Pouffa est inexistante dans les provinces du sud comme Dakhla ou Laâyoune, si l’on se fie aux statistiques judiciaires officielles 2022-2024. Qu’ils s’agissent des personnes interpellées ou des quantités saisies. Ce détail mérite d’être creusé pour comprendre pourquoi trois grandes régions du sud sont épargnées. Une hypothèse: la forte présence des postes de contrôle de l’armée et de la Gendarmerie royale. Le voyageur dans ces contrées se fait pratiquement contrôler ponctuellement. Et chercher à se déplacer via les pistes pour déjouer la vigilance des gardes est dangereux et inutile à cause de l’existence de mines antipersonnel et de zones militaires interdites d’accès.
Le second détail concerne le milieu rural. La drogue de synthèse dite «Pouffa» y a percé concurrençant ainsi le «bon» vieux kif et le cannabis. Etudier la nature et l’évolution de la criminalité en général et de la consommation des drogues en particulier dans nos campagnes demeure anecdotique. S’y intéresser de plus près permettra de mieux cerner le nouveau visage de la délinquance (cf. L’Economiste n°7061 du 25 juillet 2025). Preuve parmi d’autres, l’alerte de l’Observatoire national de la criminalité: «Le phénomène des drogues a connu un changement structurel profond durant les dernières décennies. Le rendant ainsi comme l’un des phénomènes les plus complexes au niveau international et national. Avec des conséquences enchevêtrées sur la santé publique, la sécurité, la justice, l’économie et la société».
La répression pénale cible d’abord les consommateurs
 Les affaires liées à la répression des crimes et délits de drogue ont connu une évolution significative. Elles sont passées de 49.365 en 2013 à 144.246 en 2023. Cette hausse enregistrée sur dix ans concerne également le nombre des personnes poursuivies: de 61.166 en 2013 à 175.666 en 2023!
Les affaires liées à la répression des crimes et délits de drogue ont connu une évolution significative. Elles sont passées de 49.365 en 2013 à 144.246 en 2023. Cette hausse enregistrée sur dix ans concerne également le nombre des personnes poursuivies: de 61.166 en 2013 à 175.666 en 2023!
Pour la présidence du ministère public, «ces indicateurs démontrent l’efficience de la justice pénale pour contrer le trafic de drogue et la nécessité de fournir davantage d’effort de sensibilisation et de prévention…».
Quelles soient drogues dures ou douces, plus de la moitié des affaires recensées en 2023 porte sur l’usage illicite des drogues. Suivie ensuite par la détention de stupéfiant, le trafic… Les affaires d’import et export ainsi que de transport de drogue restent mineurs.
Autrement dit, ce sont surtout les consommateurs qui constituent le gros contingent des personnes poursuivies en justice et mises derrière les barreaux. L’approche pénale des juges est-elle trop répressive? Les chiffres corroborent ce constat au moment où la surpopulation carcérale pose un vrai problème. Environ 105.100 détenus recensés en 2024 contre près de 75.000 en 2014 (cf. L’Economiste n°7061 du 25 juillet 2025). Une personne addictive doit-elle être enfermée ou soignée? Telle est la question au-delà des considérations prétendument morales.
Par ailleurs, la législation nationale compte plusieurs lois réprimant la consommation et le trafic de stupéfiants. Le code pénal, le Dahir du 24 avril 1954 interdisant le cannabis, le Dahir portant loi du 21 mai 1974 relatif à la répression de la toxicomanie et la prévention des toxicomanes, le code des douanes et des impôts indirects, la loi 13-21 relative aux usages licites du cannabis…
Et vu la diversité des produits comme dans les drogues de synthèse et une consommation qui se popularise, «le législateur devrait redéfinir le terme de dealer» (Lire article).
F.F.
L’article Les ravages de la Pouffa: Dans l’univers d’un paradis artificiel est apparu en premier sur L'Economiste.
2025-10-30 19:30:06
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