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Les clés manquantes de l’essor des startups au Maroc

Les clés manquantes de l’essor des startups au Maroc

Les clés manquantes de l’essor des startups au Maroc

Depuis quelques années, les initiatives se multiplient : fonds de capital-risque, incubateurs, programmes d’accompagnement. Pourtant, le dynamisme reste en demi-teinte. «Aujourd’hui, le capital existe. Ce qui manque, ce sont les projets qualifiés», tranche Khalil Azzouzi. Son fonds, Azur Innovation, a levé 350 millions de dirhams, mais peine à identifier des dossiers solides.

Un paradoxe qui frappe aussi Salma, 27 ans, cofondatrice d’une plateforme de e-santé : «Nous avons trouvé de premiers financements publics pour prototyper, mais quand il a fallu convaincre des investisseurs privés, on nous a reproché de ne pas avoir assez de traction. Or, sans financements, difficile de scaler». Ce cercle vicieux illustre le «goulot d’étranglement» dénoncé par Azzouzi : trop peu de projets passent le cap de la structuration et deviennent investissables.

Le poids du cadre juridique et fiscal

La critique est récurrente : le Maroc n’offre pas encore les outils juridiques modernes qui fluidifient les investissements ailleurs. «Nous n’avons pas de mécanismes comme les BSPCE, les SAFE ou les bons de souscription d’actions. Résultat, les intérêts des fondateurs, investisseurs et talents s’alignent mal», regrette Azzouzi. Un autre fondateur, Youssef, 32 ans, incubé à Rabat, confirme : «Nous avons voulu attirer un CTO avec des stock-options, mais juridiquement, c’était impossible. Il a fini par partir travailler à Dubaï».

À cette rigidité s’ajoute une fiscalité jugée peu incitative. Beaucoup de startups, encore déficitaires, peinent à absorber la charge fiscale, ce qui les fragilise dès leurs premières années.

Le facteur humain, clé de voûte de la réussite

Au-delà des structures, c’est la qualité des équipes qui détermine la survie d’une startup. «Je pondère le facteur humain à 80% dans l’équation de réussite», affirme Azzouzi. «Un fondateur fort peut sauver un modèle économique moyen ; l’inverse n’est pas vrai». Pourtant, le rapport sur le profil entrepreneurial montre que les porteurs de projets manquent souvent de formation spécifique en gestion, en vente ou en gouvernance. C’est aussi ce que constate Imane, 24 ans, créatrice d’une startup en agritech : «Nous avons une idée solide, validée par des agriculteurs pilotes. Mais personne ne nous a appris à pitcher face à des investisseurs. Nous avons dû tout apprendre sur le tas, parfois douloureusement». Ces témoignages soulignent la nécessité de renforcer la culture entrepreneuriale, dès l’université, et de promouvoir l’itération, le «product-market fit» et la résilience.

Il faut aussi rappeler qu’avec ses 35 millions de consommateurs, le Maroc est un marché test utile, mais insuffisant pour atteindre la taille critique. «Les startups doivent penser international dès le départ», insiste Azzouzi. Les investisseurs scrutent la capacité des jeunes pousses à se projeter au-delà des frontières, notamment vers l’Afrique subsaharienne ou l’Europe. Cette réalité, Adil, fondateur d’une fintech casablancaise, l’a vite intégrée : «Nous avons conçu notre solution en pensant au marché ouest-africain. Si nous étions restés centrés sur le Maroc, jamais nous n’aurions obtenu notre première levée».

L’Afrique anglophone comme modèle de référence

Le contraste est saisissant : Nigeria, Kenya, Égypte et Afrique du Sud captent l’essentiel des financements du continent. Leur secret ? Une réglementation plus souple et des paris sectoriels clairs. «Le Nigeria a misé sur la fintech, en adaptant son cadre réglementaire. Résultat : cinq licornes», explique Azzouzi. Au Maroc, la fintech, l’agritech et la clean-tech apparaissent comme des secteurs prometteurs, mais encore sous-exploités. Or, ce sont précisément les domaines où les besoins sont massifs : inclusion financière, productivité agricole, gestion de l’eau et transition énergétique. Pour que l’écosystème franchisse un cap, l’intervention publique est indispensable. Trois leviers reviennent systématiquement :

• Commande publique ouverte aux startups, avec des procédures adaptées.

• Guichet unique pour réduire la paperasse qui épuise les fondateurs.

• Regulatory sandbox permettant de tester de nouvelles solutions dans un cadre légal souple.

«Chaque jour passé dans les formalités, c’est du cash burn», rappelle Azzouzi. La vitesse d’exécution devient un critère aussi important que l’argent.

Les réformes récentes, comme l’introduction de la Société par actions simplifiée (SAS), ou la multiplication des fonds, sont perçues comme des signaux encourageants. Mais le temps presse. «Nous perdons encore des fondateurs qui délocalisent pour accéder à des outils et marchés plus rapides», alerte Azzouzi. Le Maroc dispose pourtant d’atouts : une jeunesse créative, un secteur bancaire solide, une position géographique stratégique. Reste à bâtir un écosystème à la hauteur des ambitions affichées.

Khalil Azzouzi, spécialiste en banque d’affaires & private equity, co-fondateur du fonds de capital-risque Azur Innovation : «Nos startups ne manquent pas d’idées, mais d’un terrain de jeu à la hauteur»

Le Matin : Pourquoi nos startups peinent-elles à se développer et à attirer des investisseurs ? Le problème est-il d’abord juridique, fiscal, administratif… ou culturel ?

Khalil Azzouzi :

C’est un problème multidimensionnel. La startup est, par essence, fragile : elle innove, donc elle évolue dans l’incertain. Le risque est beaucoup plus élevé que pour une TPE traditionnelle. Partout dans le monde, le taux de casse sur les trois premières années peut atteindre 70%. Le Maroc n’échappe pas à cet ordre de grandeur. Le cadre juridique, fiscal et réglementaire ne crée pas l’innovation, mais il peut soit accentuer la fragilité, soit la juguler.

On entend souvent que «l’écosystème n’est pas mature». Est-ce le cœur du sujet ?

C’est l’œuf et la poule. Les pays qui ont réussi – États-Unis, Royaume-Uni, Singapour, Allemagne, France – ont d’abord créé un cadre et massivement investi dans les compétences et les structures. Résultat : une minorité de champions émerge, mais elle entraîne tout le reste. Chez nous, les briques existent, mais elles sont incomplètes ou peu fluides.

Concrètement, qu’est-ce qui manque dans le droit et les pratiques d’investissement ?

Nous n’avons pas encore, de manière opérationnelle, certains instruments standards du capital-innovation : Bons de souscription d’actions, mécanismes d’incentive actionnarial pour les équipes clés, SAFE, etc. Techniquement, les équipes savent les structurer ; juridiquement, c’est souvent impossible ou non prévu. Cela freine l’alignement d’intérêts entre investisseurs, fondateurs et talents, pourtant vital pour retenir les compétences 4 à 7 ans.

L’argent manque-t-il vraiment ?

Paradoxalement, non. Il y a vingt ans, la rareté du capital était le problème. Aujourd’hui, le capital est disponible, mais il manque des projets qualifiés qui cochent les critères d’investissement. Notre fonds Azur Innovation a levé plusieurs centaines de millions de dirhams ; d’autres véhicules arrivent. Le goulot d’étranglement se situe en amont : deal flow insuffisant, projets pas assez calibrés, gouvernance fragile.

D’où vient cette pénurie de «deals qualifiés» ?

De la chaîne de valeur entière : éducation, culture entrepreneuriale, incubation, accélération, puis financement et accès au marché. Même les incubateurs peinent à recruter des projets répondant aux standards d’investissement. Il faut remonter plus haut : pédagogie de la prise de risque, formation aux soft skills, culture de l’itération et du product-market fit.

Vous insistez sur le «capital humain». À quel point est-ce déterminant ?

Je le pondère à 80% dans l’équation de réussite. Un fondateur fort tire vers le haut un modèle moyen ; l’inverse n’est pas vrai. On évalue donc la résilience, la capacité d’apprentissage, l’intégrité, la gestion des conflits. Beaucoup de défaillances viennent de désalignements entre associés ou d’équipes démotivées faute de mécanismes d’intéressement.

Le marché marocain est-il trop étroit ?

C’est un marché de 35 millions : utile pour défricher, insuffisant pour scaler. Nous privilégions les startups qui pensent international dès le départ. Ce n’est pas un critère éliminatoire, mais c’est un signal fort : capacité à adresser des marchés régionaux ou globaux, à structurer des process exportables.

On parle de 400 à 500 startups au Maroc. Combien sont vraiment sur les radars des investisseurs ?

Une quinzaine à une vingtaine se dégagent clairement. Environ 50% du reste sont «dans la moyenne», leur trajectoire est incertaine. Le solde a de fortes chances de défaillir. C’est la statistique normale d’un écosystème qui apprend.

Subventions : utiles ou piège ?

Utile comme ticket d’amorçage (prototypage, fin de R&D), insuffisant pour le go-to-market. L’important est de mesurer l’impact et d’éviter la dépendance. Les pays africains les plus performants ont lié les aides à des indicateurs d’impact (inclusion, emploi, climat, genre) et à des portes vers des financements privés.

Justement, pourquoi l’Afrique anglophone capte-t-elle l’essentiel des levées ?

Parce qu’elle a libéralisé tôt des verticales porteuses, notamment la fintech, répondant à des besoins massifs d’inclusion financière. Elle a déployé des sandboxes réglementaires, ouvert des API bancaires, fluidifié la conformité. Résultat : 7 licornes, dont la majorité en fintech. Chez nous, en fintech, agri-tech ou clean-tech, nous partons avec un retard alors que les besoins sont évidents.

Vous prônez donc une approche sectorielle priorisée ?

Oui : fintech (paiement, crédit, KYC), agri-tech (productivité, traçabilité), climate/clean-tech (efficacité énergétique, eau), gov-tech et health-tech à terme. Prioriser quelques pistes nationales où la demande est forte et l’État peut agir comme premier client ou facilitateur.

L’accès au marché reste la plainte n° 1 des fondateurs. Que faire ?

Il existe trois leviers à actionner : la commande publique ouverte aux startups, avec lots adaptés, délais de paiement maîtrisés, une corporate venturing et procurement plus agiles : accepter des POC courts, partager le risque, éviter les contrats 5 ans qui «enchaînent» les jeunes pousses et un guichet unique pour les formalités, parce que chaque jour de paperasse, c’est du cash burn.

Et la question territoriale : tout à Casablanca, qu’en pensez-vous ?

La concentration suit le PIB et les clients. Mais on peut irriguer le pays via des technoparcs et des clusters spécialisés, à condition d’assurer infrastructures, talents et surtout accès à des marchés publics et privés locaux. La startup sert précisément là où les grands acteurs ou l’État n’adressent pas bien le besoin.

Quel modèle vous inspire pour réformer vite ?

Le Royaume-Uni, pionnier du regulatory sandbox : permettre de tester en grandeur nature des innovations qui débordent le droit existant, sous supervision. Quand c’est concluant, le législateur ajuste. C’est agile, anticipateur et transposable si l’on choisit les bons acteurs pour piloter et si l’on assume une culture de l’essai-erreur.

Voyez-vous des signaux positifs dans l’écosystème malgré ses fragilités ? Et à l’horizon 2030, l’objectif de 3.000 à 4.000 startups et peut-être une ou deux licornes vous paraît-il réaliste ?

Oui, des signaux positifs existent. On observe des réformes encourageantes – comme l’introduction de la SAS – qui offrent plus de souplesse, la montée en puissance de nouveaux fonds d’investissement et la labellisation d’incubateurs qui professionnalisent l’accompagnement. Mais le revers de la médaille, c’est que nous perdons encore des fondateurs prometteurs qui choisissent de délocaliser pour accéder à des outils juridiques, fiscaux et à des marchés plus fluides à l’étranger. Cela montre bien que, même si les bases se mettent en place, nous devons accélérer pour «rester dans la course».

Quant à l’objectif 2030, il n’est pas hors de portée, mais il suppose de débloquer très vite quatre chantiers structurants. D’abord, doter le pays d’outils juridiques modernes – BSA, BSPCE/ESOP, SAFE, pactes souples – et de sandboxes sectoriels pour tester les innovations. Ensuite, mettre en place une fiscalité pro-innovation, avec une neutralité sur l’ESOP, un meilleur traitement des pertes reportables et des incitations à la R&D. Troisième axe : faciliter l’accès au marché, qu’il s’agisse de la commande publique, de POC avec les grandes entreprises ou du respect des délais de paiement. Enfin, bâtir un vrai pipeline de talents et de projets, en formant aux compétences clés – produit, vente, gouvernance, data, IA, cybersécurité.

L’argent, lui, est déjà disponible. Ce qui manque, c’est la vitesse d’exécution et la qualité des dossiers. Si ces leviers sont actionnés rapidement, oui, nous pourrons envisager un écosystème de plusieurs milliers de startups et, pourquoi pas, voir émerger une ou deux licornes marocaines d’ici 2030.

Un conseil aux fondateurs qui nous lisent ?

Pensez produit-marché avant la techno, international dès le slide 1, gouvernance dès le jour 0, talents au centre avec un vrai intéressement, unit economics sous contrôle. Et acceptez que lever des fonds n’est pas une fin : c’est un engagement lourd, avec des attentes claires de performance et de reporting. Nous restons optimistes. Le Maroc a les compétences et la volonté. Donnons-nous les bons outils et la souplesse nécessaire ; le reste – les deals, l’attraction des capitaux, l’impact – suivra.

Le cadre juridique des startups au Maroc

Le Maroc a franchi une première étape avec la loi n° 88-17 du 9 janvier 2019, qui a simplifié certaines formalités de création d’entreprises. Dans la continuité, les autorités affichent l’objectif d’instaurer un véritable «Startup Policy Act», afin d’identifier juridiquement les startups et leur offrir un cadre adapté. Aujourd’hui, les jeunes pousses marocaines se constituent sous des formes classiques – SARL, SA ou Société par actions simplifiées (SAS). Chacune présente ses avantages et contraintes en termes de responsabilité, de capital minimum ou de flexibilité statutaire. La SAS, relativement récente, séduit par sa souplesse organisationnelle et sa capacité à faciliter l’entrée de nouveaux investisseurs. Mais malgré cette évolution, les instruments financiers typiques de l’innovation – tels que les SAFE, BSPCE ou bons de souscription d’actions destinés à aligner les intérêts des fondateurs, talents et investisseurs – ne sont pas encore pleinement intégrés au droit marocain et restent difficiles à mettre en œuvre. Plusieurs verrous subsistent. Le flou juridique entourant le statut même de la startup limite l’adaptation des structures aux phases de croissance et de levée de fonds. Les procédures de liquidation judiciaire, ou celles liées aux opérations d’exit et d’internationalisation demeurent lourdes et peu adaptées aux réalités de l’innovation. Enfin, le cadre fiscal, jugé peu incitatif, n’offre que des avantages limités en matière d’exonération R&D, de traitement des pertes ou de neutralité sur les mécanismes d’intéressement. En somme, si des avancées notables ont été enregistrées, l’écosystème startup marocain reste confronté à un environnement juridique et fiscal qui tarde à se mettre au diapason de son ambition.

Les conseils de l’expert pour startuppers

• Pensez international dès le départ : même si le marché marocain sert de test, les investisseurs valorisent les ambitions régionales ou globales.

• Soignez l’équipe : entourez-vous de profils complémentaires, et mettez en place des mécanismes de motivation (même informels si la loi limite).

• Maîtrisez vos finances : surveillez vos coûts, contrôlez votre «cash burn», préparez vos levées à l’avance.

• Cherchez l’accompagnement : mentors, incubateurs, réseaux d’entrepreneurs… ne restez pas isolés.

• Acceptez l’itération : un projet qui pivote n’est pas un échec, mais une étape d’apprentissage.

• Valorisez l’impact : les investisseurs s’intéressent de plus en plus aux projets qui allient rentabilité et utilité sociale ou environnementale.


2025-09-29 17:50:00

lematin.ma

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