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Le «sharp power», nouvel instrument de puissance par la manipulation et la désinformation

Le «sharp power», nouvel instrument de puissance par la manipulation et la désinformation

Le «sharp power», nouvel instrument de puissance par la manipulation et la désinformation

Andrew LATHAM

Andrew Latham est professeur de sciences politiques, Macalester College

En plus de la puissance militaire, les États peuvent désormais compter sur de nouveaux outils pour exercer leur puissance. On connaissait le «soft power», qui exploite l’attractivité du pays qui l’exerce. Il faudra désormais compter avec le «sharp power», mobilisant les outils de la manipulation et de la désinformation.

■ «Pouvoir dur», «pouvoir doux» et «pouvoir tranchant»

«Le fort fait ce qu’il peut faire, et le faible subit ce qu’il doit subir». C’est ce qu’écrivait Thucydide dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse»: cette observation lucide de l’historien grec reste d’actualité. Mais dans le monde actuel, la puissance ne se manifeste pas toujours sous la forme d’une armée nombreuse ou d’une flotte de porte-avions. Les moyens par lesquels la puissance s’exprime se sont diversifiés, devenant plus subtils, plus complexes et souvent plus dangereux.

Il devient ainsi insuffisant de parler du pouvoir en termes purement militaires ou économiques. Il faudrait plutôt en distinguer trois formes, qui se recoupent mais restent distinctes: le «hard power», le «soft power» et le «sharp power» – en français, «pouvoir dur», «pouvoir doux» et «pouvoir tranchant».

Ces trois catégories de pouvoir sont plus que de simples concepts académiques. Ce sont des outils concrets, à la disposition des dirigeants, qui permettent respectivement de contraindre, de séduire ou de manipuler les populations et les gouvernements étrangers, dans le but d’influencer leurs choix. Ils sont parfois mobilisés de concert, mais s’opposent souvent dans les faits.

Le «hard power» est probablement la plus connue des trois formes de puissance, et celle sur laquelle les gouvernements se sont appuyés pendant la majeure partie de leur histoire. Il désigne la capacité à contraindre par la force ou la pression économique, et se traduit par l’utilisation de chars, de sanctions, de navires de guerre et de menaces

■ Exiger ou persuader?

Le «hard power» est probablement la plus connue des trois formes de puissance, et celle sur laquelle les gouvernements se sont appuyés pendant la majeure partie de leur histoire. Il désigne la capacité à contraindre par la force ou la pression économique, et se traduit par l’utilisation de chars, de sanctions, de navires de guerre et de menaces.

On le voit à l’œuvre lorsque la Russie bombarde Kiev, lorsque les États-Unis envoient des porte-avions dans le détroit de Taïwan ou lorsque la Chine restreint son commerce extérieur vers des pays étrangers pour punir leurs gouvernements.

Le «hard power» ne demande pas: il exige. Mais la coercition seule permet rarement d’exercer une influence durable. C’est là qu’intervient le «soft power». Ce concept, popularisé par le politologue états-unien Joseph Nye, fait référence à la capacité de séduire plutôt que de contraindre. Il fait jouer la crédibilité, la légitimité et l’attrait culturel d’une puissance.

Le «sharp power» ne contraint pas, ne séduit pas non plus… mais il trompe. Il s’appuie ainsi sur la désinformation, les réseaux d’influence, les cyberattaques et la corruption utilisée comme arme stratégique

Pour rendre cette notion plus concrète, on peut penser au prestige mondial des universités américaines, à la portée inégalée des médias anglophones ou encore à l’attrait qu’exercent les normes juridiques, politiques ou la culture occidentale. Le «soft power» persuade ainsi en proposant un modèle enviable, que d’autres pays sont susceptibles de vouloir imiter.

■ Le pouvoir par la désinformation

Cependant, dans le contexte actuel, le «soft power» perd du terrain. Il repose en effet sur l’autorité morale de la puissance qui l’exerce, dont la légitimité est de plus en plus remise en question par les gouvernements du monde entier qui s’appuyaient auparavant sur le «soft power».

Les États-Unis, qui restent une puissance culturelle incontournable, exportent aujourd’hui non seulement des séries télévisées prestigieuses et des innovations technologiques, mais aussi une polarisation et une instabilité politique chroniques. Les efforts de la Chine pour cultiver son «soft power» à travers les instituts Confucius et les offensives de communication culturelle sont constamment limités dans leur efficacité par les réflexes autoritaires du pays.

Les valeurs autrefois considérées comme attrayantes sont ainsi désormais perçues, à tort ou à raison, comme hypocrites et creuses. Cela a ouvert la voie à un troisième concept: le «sharp power». Celui-ci fonctionne comme un négatif du «soft power». Inventé par le National Endowment for Democracy en 2017, le terme vise à décrire la manière dont les États – autoritaires en particulier, mais pas exclusivement – exploitent l’ouverture politique des démocraties pour les manipuler de l’intérieur.

Le «sharp power» ne contraint pas, ne séduit pas non plus… mais il trompe. Il s’appuie ainsi sur la désinformation, les réseaux d’influence, les cyberattaques et la corruption utilisée comme arme stratégique. Il ne cherche pas à gagner votre admiration, mais à semer dans la population confusion, division et doute.

Des exemples d’utilisation du «sharp power» sont, par exemple, les ingérences russes dans les élections, le contrôle chinois des algorithmes de certains réseaux sociaux ou les opérations d’influence secrètes menées par les États-Unis contre la Chine.

Le «sharp power» consiste ainsi à façonner les discours dans les sociétés étrangères sans jamais avoir à tirer un coup de feu ni à conclure d’accord commercial. Contrairement au «hard power», il passe souvent inaperçu, jusqu’à ce que ses objectifs soient atteints et que le mal soit fait.

Les États-Unis, qui restent une puissance culturelle incontournable, exportent aujourd’hui non seulement des séries télévisées prestigieuses et des innovations technologiques, mais aussi une polarisation et une instabilité politique chroniques


Comment faire face au «sharp power»?

Inventé par le National Endowment for Democracy en 2017, le terme de «sharp power» vise à décrire la manière dont les États – autoritaires en particulier, mais pas exclusivement – exploitent l’ouverture politique des démocraties pour les manipuler de l’intérieur

Le paysage diplomatique actuel est rendu particulièrement difficile à lire par le fait que ces formes de pouvoir ne sont pas clairement séparées, mais s’entremêlent. L’initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie combine ainsi le «hard» et le «soft power», tout en s’appuyant discrètement sur des tactiques de «sharp power» pour faire pression sur ses détracteurs et pour réduire au silence les dissidents.

La Russie, qui ne dispose pas du poids économique ni de l’attrait culturel des États-Unis ou de la Chine, a dû apprendre à maîtriser le «sharp power», et l’utilise désormais pour déstabiliser, distraire et diviser ses adversaires géopolitiques.

Cette situation crée un dilemme stratégique pour les démocraties libérales, qui jouissent toujours pour l’instant d’un statut dominant en matière de «hard power» et d’un «soft power» résiduel lié à l’attractivité de leur modèle. Elles sont cependant vulnérables aux outils du «sharp power» et sont de plus en plus tentées de l’utiliser elles-mêmes.

Au risque, en essayant de répondre à la manipulation par la manipulation, de vider de leur substance leurs propres institutions et valeurs.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

En partenariat avec

2025-09-07 15:13:05

www.leconomiste.com

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