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Lait du futur : comment le Maroc compte réussir sa transition verte

Lait du futur : comment le Maroc compte réussir sa transition verte

La filière laitière prépare sa révolution verte. Dans une entrevue exclusive avec «Le Matin», en marge du Salon international de l’agriculture de Meknès (SIAM), le président de l’interprofession laitière (Maroc Lait), Rachid El Khattate, et son directeur général, Mohammed Raita, nous plongent au cœur de la feuille de route de développement d’un secteur aux soubassements économiques et sociaux hautement stratégiques. Concrètement, le nouveau plan de bataille de Maroc Lait repose sur trois volets complémentaires. Il s’agit de développer des cultures résilientes au changement climatique pour sécuriser l’alimentation animale, optimiser l’usage de l’eau grâce à des technologies comme le semi-direct ou la digitalisation de l’irrigation et l’amélioration de la performance de l’élevage laitier afin de produire davantage de lait avec moins de vaches, réduisant ainsi les besoins en eau. «Il faut comprendre que l’eau est indispensable à deux niveaux dans l’élevage laitier. D’une part, pour produire le fourrage, et de l’autre, parce qu’une vache laitière consomme beaucoup d’eau. L’idée est donc de privilégier des vaches performantes, capables de produire jusqu’à 65-70 litres de lait par jour, plutôt que de maintenir un grand nombre de vaches peu productives. Ce qui multiplierait les besoins en eau», explique le patron de Maroc Lait.

Recapitaliser le cheptel, une urgence nationale

La recapitalisation du cheptel figure également en bonne place dans la stratégie de Maroc Lait. Le fait est que la succession des années de sécheresse a décimé les parcours, essentiels pour l’alimentation du cheptel laitier. Cette situation s’est par la suite aggravée avec l’enclenchement de crise sanitaire qui a conditionné l’arrêt des importations des génisses laitières et des semences utilisées dans l’insémination artificielle. Résultat des courses, les petits éleveurs, du fait de l’insoutenabilité financière de leurs exploitations, ont été contraints de liquider leurs effectifs laitiers. «La filière a ainsi fait les frais de ces différentes crises. En 2023, nous avons enregistré une baisse drastique de 30% aussi bien de la production laitière que du cheptel laitier. Face à cette situation catastrophique, un programme de recapitalisation du cheptel a été mis sur les rails en 2023, en collaboration avec l’interprofession et les Directions régionales de l’agriculture. Ce programme avait instauré des aides à l’acquisition de génisses en plus de subventions pour les aliments composés. Car, faute de pâturages, l’éleveur n’avait pas le choix. Il devait acheter pratiquement tous les aliments pour son bétail à des prix qui ont atteint des niveaux insolents, soit jusqu’à 30% de hausse. Grâce à ces mesures, nous avons pu gagner 10% en termes de production laitière en 2024», détaille le DG de Maroc Lait qui rappelle au passage qu’en 2019, le cheptel laitier comptait quelque 1,8 million de têtes et assurait une production annuelle de 2,5 milliards de litres de lait frais. Pour booster la recapitalisation du cheptel laitier, Maroc Lait devrait prendre en charge à partir de cette année le centre d’insémination artificielle de Aïn Jamaâ. Ce dernier est jusqu’ici géré par l’État. «Nous avons signé un protocole avec le département de Tutelle pour que l’interprofession de la filière puisse gérer cette plateforme de manière autonome», rappelle El Khattate. Si Maroc Lait a décidé de prendre en charge ce centre, c’est pour y développer un projet ambitieux : la production des semences à l’échelle locale. Ce qui permettra d’assurer une souveraineté sur cette ressource vitale pour la reconstitution du cheptel laitier. «Ce Centre recourait exclusivement à l’import des semences. La crise sanitaire et les mesures de restrictions qui y étaient liées avaient quasiment gelé le processus d’importation des semences. Ce qui a été catastrophique pour notre secteur. Faute de semences, les éleveurs étaient alors contraints d’abandonner leur cheptel. Maintenant avec la production des semences par Centre, l’opération de recapitalisation regagnera sa vitesse de croisière», explique le DG de Maroc Lait.

La recette de Centrale Danone pour déclencher une révolution verte

Vers une souveraineté génétique

À en croire les dirigeants de Maroc Lait, le Centre d’insémination de Aïn Jamaâ devra assurer pratiquement 50% des besoins nationaux en semences dès son démarrage. L’objectif à terme est d’atteindre une autosuffisance nationale en semences. La vertu de ce modèle basé exclusivement sur la production à l’échelle locale est de permettre à la profession de contrôler la génétique du cheptel national. De même, Maroc Lait entend développer des formations certifiantes de qualité au profit des inséminateurs à travers le Centre désormais sous sa gestion. Autre chantier stratégique de Maroc Lait, le développement et le déploiement des livres généalogiques pour le cheptel laitier. «C’est l’équivalent de la carte grise pour les voitures. Ce livre généalogique renfermera toutes les informations sur chaque race laitière concernée. La particularité de ce chantier c’est qu’il sera géré également par l’interprofession et non pas par l’État comme c’est d’ailleurs le cas dans des pays comme l’Allemagne. Ce qui prouve que l’État fait confiance à l’interprofession», détaille Raita. Pour pouvoir couvrir tout le territoire national, Maroc Lait a entrepris la mise en place à l’échelle des régions des Unités régionales d’encadrement laitier (UREL). À travers ces plateformes régionales, Maroc Lait entend tisser des liens directs avec les éleveurs de toutes les régions du Royaume. Cette manière de faire permettra à Maroc Lait d’assurer un suivi en temps réel de la production dans toutes les régions. «De même, toute problématique observée dans les chaînes régionales de production sera remontée en temps réel. Ce qui permettra de fluidifier le processus de décisions de l’Interprofession à l’échelle centrale», souligne le DG de Maroc Lait. Autre avantage de ces unités régionales, c’est l’accompagnement technique des éleveurs aussi pour améliorer leur production que pour bénéficier des subventions de l’État (irrigation, aliments pour bétail, etc.).

Nourrir sans ruiner : la bataille contre l’inflation des aliments

Pour faire face à la problématique de l’inflation des aliments pour bétail, plusieurs actions ont été mises en œuvre en partenariat avec l’Agriculture, notamment le développement de cultures résistantes à la sécheresse. Ainsi, relève Raita, chaque région a adapté ses pratiques, en introduisant par exemple des rations sèches ou demi-sèches, des systèmes d’irrigation localisée pour les cultures fourragères, l’orge hydroponique ou encore l’utilisation de l’eau saumâtre pour certains aliments fourragers. Ces cultures permettent du coup d’assurer une alimentation adaptée et économe pour les troupeaux. Parallèlement à ces actions entreprises dans l’amont de la filière, des usines de transformations du lait se sont mises à développer des pratiques économes en eau, à l’image de l’unité de transformation de Meknès exploitée par Centrale Danone. Sur cette plateforme, la filiale marocaine du groupe français, Danone, avait mis en place des systèmes de recyclage de l’eau. L’usine recycle ainsi près de 100% de l’eau utilisée, pour sa réutilisation dans ses processus industriels ou pour l’irrigation. Dans sa feuille de route de développement de la filière, Maroc Lait mise également sur la digitalisation qui constitue, aux yeux de Raita, un axe stratégique majeur pour la transparence et la performance de la filière. La digitalisation permettra notamment de tracer les transactions commerciales, entre les centres de collecte et les industriels, suivre la qualité et la quantité du lait collecté et renforcer la gouvernance de l’ensemble de la chaîne des valeurs. «Aujourd’hui, certains centres de collecte ont déjà mis en place des systèmes digitaux permettant d’avoir une traçabilité en temps réel. À terme, cela permettra aussi d’intégrer ces données dans les assurances agricoles, qui pourront s’appuyer sur ces informations pour indemniser les éleveurs en cas de crise», précise Rachid El Khattate.

Une stratégie nationale, des réponses régionales

Selon lui, ce qui est important, c’est que la stratégie de développement de la filière ne se consiste pas en une vision nationale ou centralisée. En effet, chaque région adapte son plan en fonction de ses spécificités : ressources hydriques, superficie, type de production, etc. L’agriculture au Maroc ne peut pas être pensée de manière uniforme. Le rôle de l’interprofession, c’est justement d’articuler cette diversité en un système cohérent. «Nous avons par exemple des régions très productives comme Fès-Meknès, Tadla, Doukkala, mais aussi des zones avec un potentiel énorme comme le Sud ou l’Oriental, qui nécessitent des investissements ciblés», souligne, pour sa part, le directeur général de l’Interprofession.

Une bonne dynamique d’investissement au niveau des régions

Malgré les mille et une contraintes, la filière laitière séduit les investisseurs. Certaines régions, à l’instar de Béni Mellal-Khénifra, ont mis en place des plans ambitieux avec des investissements privés importants. L’on y observe une volonté forte de reconstruire un tissu laitier performant, avec l’appui des autorités locales, des investisseurs et des Directions régionales de l’agriculture. À Fès-Meknès, un travail structurant est également en cours autour des centres de collecte et des mini-laiteries. L’objectif est de valoriser le lait localement, au plus près des bassins de production, tout en garantissant un prix rémunérateur pour l’éleveur. Chaque région développe ses propres solutions, selon ses contraintes climatiques, économiques, mais aussi sociales. L’enjeu, selon Maroc Lait, est de concilier équité territoriale et efficacité économique, en intégrant pleinement les petits et moyens producteurs. Dans cette dynamique à l’échelle des régions, le rôle de l’aval de la filière est déterminant. «La véritable locomotive pour booster l’investissement dans l’amont de la filière est la consommation du lait. Plus celle-ci monte en flèche, plus les investissements se multiplient. C’est d’ailleurs une logique qui régit tous les marchés», précise le patron de Maroc Lait. Sur le terrain, l’industrie laitière joue un rôle central dans la stratégie de développement des investissements dans le secteur. Plusieurs industriels ont récemment investi dans la modernisation de leurs unités et dans des programmes de collecte de proximité, avec des camions équipés pour garantir la qualité du lait dès la ferme. Les circuits de distribution évoluent également : de plus en plus de laiteries locales cherchent à développer des produits différenciés (lait pasteurisé, yaourts fermiers, fromages artisanaux) pour répondre à une demande croissante en produits frais et de qualité. Ce qui permet de diversifier les débouchés pour les éleveurs, tout en réduisant la dépendance vis-à-vis des grandes chaînes de distribution. «À mon sens, le vrai investissement à faire est de booster la consommation du lait et dérivés. Actuellement au Maroc, la consommation du lait ne dépasse pas les 75 litres par habitant par an. Ce qui est très faible. Donc, si l’évolution de la demande qui pour l’or blanc qui va électriser les investissements aussi bien à l’amont qu’à l’aval de la filière», développe El Khattate.

Une filière au cœur de l’écosystème agricole

La filière laitière ne doit pas être considérée comme un îlot isolé. L’interprofession estime ainsi essentiel de mieux articuler la filière laitière avec les autres filières agricoles : fourrages, céréales, oléagineux, etc. Parce qu’aux yeux de la profession, une stratégie intégrée permet de sécuriser l’alimentation animale, en particulier en périodes de sécheresse. Le lien avec les programmes d’économie d’eau, de gestion des ressources naturelles et de valorisation des déchets agricoles (via les biodigesteurs, par exemple) est également déterminant. Ces approches croisées sont d’ailleurs encouragées dans les projets structurants. Aujourd’hui, l’enjeu pour Rachid Khattate et Mohammed Raita est d’instaurer une gouvernance rénovée de la filière. «L’interprofession a été restructurée, et un effort est en cours pour associer davantage les éleveurs, notamment les petits producteurs, aux décisions stratégiques. Maroc Lait est gérée comme une entreprise», précise le DG de l’interprofession qui affirme que la réussite de cette stratégie dépendra de «notre capacité» à mobiliser l’ensemble des acteurs, à innover (en matière d’élevage, de valorisation, de digitalisation), et à garantir une meilleure résilience climatique et économique du secteur laitier.


2025-04-27 15:50:00

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