Informel au Maroc : deux millions d’unités actives, l’intégration toujours marginale

Le Maroc compte environ 2,03 millions d’unités de production informelles, en hausse de 350.000 unités par rapport à 2014, selon les résultats de la dernière enquête nationale sur l’informel menée par le HCP entre avril 2023 et mars 2024. La majorité de ces entités (77,3%) est implantée en milieu urbain, principalement dans la région de Casablanca-Settat. Le commerce reste l’activité dominante (47%), bien que sa part recule au profit des services (28,3%) et du BTP (11,6%). Les unités sont majoritairement unipersonnelles : 85,5% ne comptent qu’un seul emploi.

Plus de la moitié des unités informelles n’ont pas de local

Les conditions d’exercice témoignent d’une forte précarité : plus de la moitié des UPI (55,3%) ne disposent pas de local professionnel, et 4,6% opèrent à domicile. Cette situation résulte souvent de contraintes financières (42,9%) ou de la nature même des activités (42,5%), en particulier dans le BTP et le transport. L’accès aux infrastructures de base demeure inégal : 94% des unités ayant un local sont raccordées à l’électricité, mais seules 46% disposent de l’eau potable, 43% d’un système d’assainissement, et 41% d’une connexion Internet.

La productivité économique varie fortement selon les branches : un actif génère en moyenne 54.930 dirhams de valeur ajoutée annuelle, mais ce chiffre atteint 75.707 DH dans l’industrie, 66.199 DH dans le BTP, contre 48.368 DH dans le commerce et 48.727 DH dans les services.

Autre indicateur frappant : les 20% des UPI les plus productives concentrent à elles seules 65,4% de la valeur ajoutée totale du secteur. L’enquête confirme aussi une transformation sectorielle : dans l’industrie, l’agroalimentaire domine désormais avec 49,2% des unités, alors que le textile recule à 16%. Les services informels sont portés par le transport (37,2%) et la restauration/hôtellerie (29,4%), tandis que le commerce de détail représente 63,9% des unités du secteur commercial.

Sur le plan juridique, la formalisation progresse peu. Seules 14,2% des UPI sont inscrites à la taxe professionnelle, 9,8% à la CNSS et 1,7% bénéficient du statut d’auto-entrepreneur. Le commerce et l’industrie présentent les meilleurs taux d’enregistrement, tandis que le BTP accuse un net retard.

Le profil type du travailleur informel : un homme de 45 ans avec une scolarité moyenne

Le secteur reste très largement masculin (92,4% des chefs d’UPI) et mûrit : l’âge moyen est de 45 ans. Le niveau d’instruction progresse, avec seulement 18,6% de dirigeants sans scolarité (contre 34,3% en 2014) et 40,5% ayant atteint le secondaire. Les femmes, moins nombreuses, rencontrent davantage de difficultés à concilier obligations familiales et activité économique : 30% déclarent souffrir de cette double charge, contre seulement 8,1 % des hommes.

Dans ce paysage de précarité, le salariat informel reste marginal (10,4%), et souvent non réglementé. Plus de 77% des salariés informels sont recrutés via des contacts familiaux ou amicaux, et 60% ne bénéficient d’aucun contrat.

L’entrée dans l’informel est avant tout dictée par la nécessité : 68,3% des dirigeants évoquent des raisons économiques. Le financement reste très largement fondé sur les ressources propres (72,2%), et le recours au crédit bancaire reste marginal (1,1%). Seuls 2,1% disposent d’un compte bancaire dédié.

L’informel représente le tiers des emplois au Maroc et génère un chiffre d’affaires de 527 milliards de DH

S’agissant de l’emploi, le secteur informel pèse 33,1% de l’emploi non agricole, soit 2,53 millions de postes. Cette part recule légèrement depuis 2014 mais reste majoritaire dans le commerce (44,1%) et le BTP (12,2%). Le salariat y est peu développé (10,4%), souvent informel et sans contrat.

En termes de production, le chiffre d’affaires du secteur informel atteint 526,9 milliards de dirhams. Mais sa part dans la production nationale hors agriculture et administration chute de 15% en 2014 à 10,9% en 2023. La valeur ajoutée s’élève à 138,97 milliards de dirhams, mais là aussi la contribution relative diminue (de 16,6% à 13,6%).

Enfin, les échanges avec le secteur formel s’intensifient : les approvisionnements provenant du formel atteignent 33,7%, contre 18,2% en 2014. Les ventes vers le formel progressent timidement (2,4%), mais la consommation des ménages reste le principal débouché (79,5%).