Impôts locaux : une fiscalité locale faiblement territorialisée
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Le projet de loi de finances de l’année 2026 ne fait aucune référence à la fiscalité locale. Le report de cette réforme reflète la continuité de l’une des principales faiblesses relevées dans le rapport sur le Nouveau modèle de développement : la faible coordination entre les principaux acteurs politiques/publics dans la gestion des politiques publiques et surtout des principaux chantiers stratégiques tels que celui relatif au développement territorial intégré. L’émergence d’acteurs locaux responsables est-elle possible dans l’autonomie financière locale effective ?
La fiscalité locale est constituée de 17 impôts et taxes dont 11 concernent les communes urbaines et rurales, 3 taxes sont prévues au profit des préfectures et provinces et 3 autres taxes au profit des régions (Voir encadré ci-contre). L’ensemble de ces 17 impôts et taxes ont rapporté, en 2024, un montant global de recettes fiscales de 43,40 MMDH, d’après le bulletin de statistiques des finances locales, publié par la Trésorerie Générale du Royaume (Site de la TGR).
Parmi ces impôts et taxes, la Taxe professionnelle (TP) a une assiette bien connue pour sa lourdeur et sa complexité, voire son anachronisme. C’est surtout le cas des établissements industriels qui se trouvent pénalisés du fait que la «valeur locative» (VL), base de calcul de la TP, ne peut pas être inférieure à 3% du coût de revient des terrains, constructions, agencements, matériel et outillage. Certes, en 2001, un plafonnement de la VL a été fixé à 50 MDH. Néanmoins, ce plafonnement est favorable surtout aux grandes et super grandes entreprises. Pour les PME, en particulier, le mode de calcul de la VL est décourageant en matière d’investissement industriel et d’extension des immobilisations.
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En fait, ce mode de détermination de la VL est devenu anachronique, compte tenu de la dématérialisation croissante des processus de production. La hausse du niveau de production ne dépend plus exclusivement des investissements physiques et matériels. Une adaptation s’impose à ce niveau à la lumière des évolutions technologiques récentes. Par ailleurs, le mode actuel de répartition du produit de la TP prévoit 80% dudit produit au profit des budgets des communes du lieu d’imposition, 10% au profit des Chambres professionnelles et 10% au budget général, au titre des frais de gestion. Manifestement, ce mode de répartition favorise les communes situées dans les régions où le tissu économique est concentré, en particulier le secteur industriel. C’est aujourd’hui le cas de la région de Casablanca-Settat, suivie de Rabat-Salé-Kenitra, de Marrakech-Asfi et de Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Cette situation va à l’encontre des principes de solidarité et d’équité territoriale.
Pour les «petits contribuables», les dispositions actuelles, en matière de TP, afférentes aux «marchands ambulants sur la voie publique», sont inadaptées et méritent d’être revues pour tenir compte des objectifs d’intégration graduelle des micro-activités informelles.
Impôt foncier, la Taxe d’habitation (TH) est relative aux constructions affectées à l’habitation des propriétaires ou de leurs conjoints, ascendants ou descendants (…). En cas d’occupation à titre d’habitation principale, un abattement de 75% est appliqué à la VL. Par contre, cet abattement n’est pas appliqué à l’habitation secondaire. Le produit de la TH est réparti à raison de 90% aux budgets des communes du lieu d’imposition et de 10% au budget général au titre des frais de gestion.
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La Taxe des services communaux (TSC) est une taxe qui se greffe sur la TP ou la TH. «Elle en dérive», puisque l’assiette est identique, avec application d’un taux de 10,5%, ou de 6,5% lorsqu’il s’agit de biens situés dans les zones périphériques des zones urbaines. 95% du produit de la taxe est affecté aux budgets des communes et 5% aux budgets des régions. Les deux taxes précitées peuvent être fusionnées en une seule taxe.
La taxe sur les terrains urbains non bâtis (TTUNB) est un impôt étroitement lié au phénomène accru de l’urbanisation. Sa gestion, pour être efficiente, exige une forte coordination entre les multiples acteurs institutionnels détenteurs d’informations et concernés par la gestion du foncier urbain. Cette taxe peut être mobilisée dans une optique de lutte contre la spéculation foncière/immobilière. La taxe sur les opérations de construction est aussi étroitement liée au phénomène de l’extension urbaine, à l’instar de la taxe sur les opérations de lotissement.
Les six taxes et impôts rappelés concernent principalement le foncier destiné à l’exercice d’activités économiques ou à l’habitation. Il existe aussi dans la fiscalité locale des taxes en rapport avec la consommation et les services. C’est le cas des débits de boisson qui font l’objet d’une taxe sur les recettes hors TVA, réalisées par l’établissement concerné. Il en est de même des eaux minérales et de table, taxées à raison de 0,10 DH/litre. Nous retrouvons ici les «petites sœurs égarées» de la TVA et de la Taxe intérieure à la consommation (TIC). La taxe de séjour, perçue par les établissements d’hébergement touristique est appliquée en sus du prix de la chambre, en fonction du classement de l’établissement. De même, les voyageurs utilisant le transport public supportent indirectement une taxe due par les propriétaires et exploitants de taxis et de cars (affectés au transport public). L’extraction des produits de carrière est aussi assujettie à une taxe locale due par l’exploitant autorisé, à raison de la nature des produits extraits (roche, marbre, sable…). Les 11 taxes précédemment citées relèvent des communes urbaines et rurales.
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Pour les préfectures et provinces, sont prévues 3 taxes : la taxe sur les permis de conduire, la taxe sur les véhicules automobiles soumis à la visite technique et la taxe sur la vente des produits forestiers. Les deux premières portent sur les véhicules et leur usage, et sont aisément contrôlables. Ce n’est pas le cas de la 3ème taxe qui concerne en particulier les villes situées en zones forestières et dont la gestion aurait pu être confiée à l’institution responsable de la gestion du domaine forestier.
Au niveau des régions, il existe 3 taxes dont chacune dépend là aussi, des spécificités territoriales. Ainsi, la taxe sur les permis de chasse, prévue au profit des régions, est «cousine» de la taxe sur la vente des produits forestiers. Le montant annuel de cette taxe sur les permis de chasse est de 600 DH. Et attention aux chasseurs sachant chasser qui ne s’acquittent pas de leur taxe avant de partir à la chasse. Le garde forestier est aux aguets. La 2ème taxe régionale est la taxe sur les exploitations minières. Là aussi, certaines régions sont favorisées par rapport à d’autres. Ainsi, en principe, les régions où le Groupe OCP extrait du phosphate, devraient être assez riches. Ce n’est malheureusement pas le cas de Jerrada, où l’activité d’extraction de charbon/houille a été officiellement arrêtée depuis plusieurs décennies. Seules des activités informelles d’extraction ont pris la relève. La taxe est appliquée aux quantités extraites des exploitations minières. Le tarif de la taxe est de 1 à 3 DH la tonne extraite.
La 3ème taxe régionale est la taxe sur les services portuaires. Cette taxe est appliquée par les organismes concernés sur les services portuaires rendus dans l’enceinte du port relevant du ressort territorial de la région, à l’exclusion des services liés au transport international et relatifs aux marchandises en transit non destinées au marché national. La taxe, à la charge des usagers, est assise sur la valeur globale des services rendus. Le taux varie de 2% à 5% du chiffre d’affaires hors taxe. C’est donc là aussi, une petite cousine lointaine, au croisement de la TVA et des droits de douane. Elle ne concerne que les régions du littoral disposant de ports.
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Voici donc, sommairement, le «panorama» actuel de la fiscalité locale qui garde beaucoup de séquelles de l’ancien système fiscal et où de nombreux impôts et taxes font en fait double emploi avec la «fiscalité nationale», aggravant ainsi la complexité du système fiscal dans sa globalité, malgré les efforts de simplification entrepris au niveau des principaux impôts que sont la TVA, l’IS, l’IR et les droits d’enregistrement et de timbre (DET).
Combien rapporte la «fiscalité locale» ? L’absence d’une administration chargée de la gestion de la fiscalité locale, dotée d’une organisation et de ressources, rend la réponse difficile à cette question. En 2024, sur un total de 53 067 MDH, les recettes fiscales totales représentent 82,48%, soit 43 769 MDH. La ventilation de ces dernières permet de constater que les «taxes et redevances locales» diverses gérées par les CT, soit un montant de 6 248 MDH, représentent 14,27% du total des recettes fiscales. Alors que les «ressources gérées pour le compte des CT» (TSC, TP et TH), par la Direction générale des impôts (DGI) et la TGR, soit 10 300 MDH, y représentent 23,53% du total des recettes fiscales. Quant aux «ressources transférées» (non compris les fonds de concours et les subventions), limitées aux recettes fiscales transférées, soit un montant de 27 221 MDH, elles représentent 62,20% du total des recettes fiscales.
Ainsi, il est évident que les recettes fiscales des CT dépendent principalement des ressources transférées provenant de la «Part du produit TVA», soit 20 608 MDH (première source de financement public des CT, avec 47,08% du total des recettes fiscales des CT), la «Part dans le produit IS et IR, soit 5 976 MDH (13,65% du total des recettes fiscales des CT), et la « Part dans le produit de la taxe sur les contrats d’assurance, soit 637 MDH (1,45% du total des recettes fiscales des CT). Cette faible autonomie financière ne peut pas ne pas avoir un impact négatif sur le processus de déconcentration et de régionalisation, en tant que processus d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques territoriales, ainsi que dans la prise de décision publique aux niveaux local et régional. Nous nous retrouvons donc face à des CT qui ne peuvent pas apprendre à marcher seules, sans «béquilles financières» de l’«Etat central». L’autonomie financière est au cœur de l’autonomie régionale avancée.
Faiblesse des recettes fiscales propres
En 2024, les recettes fiscales propres ont représenté à peine 14,27% du total des recettes fiscales et à peine 11,77% du total des recettes/ressources des CT (53 067 MDH). Les CT dépendent ainsi fortement des «ressources gérées pour le compte des CT» (23,53% du total des recettes fiscales CT) et des «recettes fiscales transférées» (62,20% du total des recettes fiscales CT). Cette situation résulte de l’état actuel du système fiscal dans sa globalité, aggravée par l’absence de volonté politique de créer une véritable administration fiscale locale. A la lecture du bulletin de statistiques des finances locales de fin 2024, publié par la TGR, le montant global des recettes fiscales propres, c’est-à-dire gérées par les CT elles-mêmes, est de 5 878 MDH. L’unique impôt direct local qui rapporte le plus de recettes fiscales propres est la taxe sur les terrains urbains non bâtis (TTUNB). Cette taxe a rapporté, en 2024, des recettes d’un montant de 2 497 MDH, soit 42,48% du total des recettes fiscales propres. En fait, le potentiel fiscal de cette taxe est beaucoup plus important, compte tenu de l’extension en cours des périmètres urbains et donc de l’intégration de nouveaux espaces urbains relevant auparavant des zones rurales et agricoles. A cela, s’ajoute la facilité d’identifier les terrains nus et les propriétaires, ainsi que la relative stabilité de l’assiette de cette taxe. En plus de la TTUNB, impôt direct local, les autres impôts indirects locaux ont représenté, en 2024, 57,52% du total des recettes fiscales propres des CT, avec en tête la taxe sur les opérations de construction qui a rapporté 1 019 MDH, soit 17,33% du total des recettes fiscales propres des CT, ou 30,13% des impôts indirects propres aux CT. En fait, et à l’image de la «fiscalité d’Etat», l’importance des recettes des impôts indirects locaux par rapport aux impôts directs au niveau local, confirme le caractère non équitable de l’ensemble du système fiscal en vigueur, dans sa globalité, aux niveaux national et territorial.
Fiscalité locale : une source de complexité et d’opacité
Quasi-orpheline, la fiscalité locale est actuellement alimentée principalement par les «recettes fiscales transférées» dont la gestion est assurée par le ministère de tutelle (ministère de l’Intérieur). Par ailleurs, la multiplicité des taxes et impôts locaux constituant la source des recettes fiscales des CT est aussi un facteur qui impacte négativement le «climat des affaires» et donc l’investissement. C’est surtout le cas des TPE et des PME. En fait, l’investissement, quelle que soit son importance, a besoin de «visibilité fiscale». Ainsi, en matière de TP, l’assiette est constituée de la valeur locative (VL), c’est-à-dire le montant annuel du loyer, auquel s’ajoute 3% de la valeur des immobilisations corporelles, surtout à caractère fixe. C’est aussi le cas de la TSC.
Exemple : un jeune entrepreneur loue un local/fonds de commerce destiné à une activité commerciale (restauration) :
Montant mensuel du loyer = 5 000 DH ; Coût des immobilisations corporelles (aménagement, agencement, matériel fixe…) = 5 MDH ; VL = (5 000 x 12) + (5 000 000 x 3%) = 210 000 DH
Montant annuel de la TP = 210 000 x 20% = 42 000 DH.
Ainsi, après 5 années d’exonération, le jeune entrepreneur va recevoir un avis d’imposition d’un montant de 42 000 DH, auquel s’ajoute la TSC, soit un montant de 210 000 x 10,5% = 22 050 DH. Sans oublier, la «taxe sur les débits de boissons», la «taxe sur les eaux minérales et de table», la «taxe de licence» en cas d’alcool, l’IS en tant que personne morale, ou l’IR en tant que personne physique, l’IR prélevé à la source des salaires versés aux employés, la TVA sur le chiffre d’affaires à verser mensuellement ou trimestriellement et les cotisations CNSS (…). Sans compter le «bakchich» à verser, «impôt informel», comme «prix de la tranquillité». Tout cela en contrepartie de «services publics dans un état souvent catastrophique». De quoi décourager, voire faire fuir toute bonne volonté qui envisage de s’impliquer économiquement et socialement. Comment ne pas comprendre la «préférence» d’un jeune pour un «petit poste» dans la «fonction publique», à l’abri des regards, des aléas et des incertitudes de plus en plus nombreuses en ces temps qui courent ?
2025-11-22 13:51:23
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