Ghita Houir Alami, la Marocaine qui veut réinventer la recherche par l’IA
Ghita Houir Alami :
Depuis mes années de maths appliquées à Polytechnique et Berkeley, je rêvais de lancer un projet ambitieux avec un impact mondial. J’ai toujours vu les maths comme un levier pour résoudre des problèmes concrets. Or, dans la plupart des entreprises, la recherche interne reste lente, coûteuse et souvent inexacte. Avec la montée des LLM et des agents d’intelligence artificielle (IA), ce point faible devient un véritable goulot d’étranglement. J’ai donc décidé de construire une API (interface de programmation d’application) de recherche ultra-précise et en temps réel pour que n’importe quelle organisation puisse brancher un moteur IA sans recréer toute l’infrastructure.Comment une startup à ancrage marocain s’est-elle retrouvée dans le Y Combinator (YC W25) ? Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté concrètement en termes de réseau, vision, méthodes, etc. ?
J’ai grandi au Maroc, fait mes classes prépa, puis étudié à Polytechnique et Berkeley. Cette trajectoire m’a inculqué la culture de l’ambition et du travail acharné. Pour apprendre à aller très vite, je visais la Silicon Valley. Y Combinator m’a offert une méthode et un réseau mondial : parler aux utilisateurs chaque jour, délivrer chaque semaine, itérer sans ego et viser l’excellence produit.
Vous venez de lever 4,2 millions de dollars en seed round. Qu’est-ce que cela représente pour vous et pour ZeroEntropy ?
C’est d’abord la validation que le problème est critique et que notre approche séduit des investisseurs de premier plan. Pour l’équipe, c’est un gage de stabilité qui nous permet de nous projeter, de fixer des objectifs à moyen terme et d’aller plus vite que nos concurrents.
Comment avez-vous convaincu des investisseurs comme Initialized Capital ?
En fait, je me suis appuyée sur trois éléments. Il s’agit d’abord de la traction produit : un reranker qui bat Cohere et Salesforce sur leurs propres benchmarks. Puis une vision claire : devenir la couche de recherche de référence pour tout agent d’IA. Et enfin, une équipe d’élite, comptant des chercheurs en IA, anciens de Polytechnique, CMU, Berkeley et MIT, avec une culture d’exécution rapide.
Comment allez-vous déployer ce financement et sur quels axes allez-vous prioritairement investir : recrutement, R&D, développement produit, expansion commerciale ?
Notre priorité est de recruter des profils pointus en infrastructure et en IA, puis de renforcer la DevRel pour consolider la communauté. Les fonds financent aussi la Recherche & Developpement (R&D) sur de nouveaux modèles et la mise en place d’une force commerciale légère, mais très technique.
Est-ce que cette levée de fonds marque un tournant dans votre stratégie ? Visez-vous une internationalisation rapide ou préférez-vous consolider votre position technologique d’abord ?
La levée ne change pas la vision, mais elle amplifie notre cadence. Nous restons concentrés sur la qualité technologique avant de nous diversifier. L’internationalisation est déjà en cours : nos premiers clients sont aux États-Unis et en Europe.
Vous avez récemment lancé «Zerank-1», un reranker inspiré du système ELO des échecs. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie concrètement ? Et qu’est-ce que cette innovation change pour les utilisateurs finaux ?
Imaginez une base de données contenant des millions de documents. Lorsqu’un utilisateur pose une question, une première phase de retrieval repère rapidement un lot de candidats : recherche par mots-clés pour trouver les correspondances évidentes et modèles d’embeddings pour mesurer la similarité sémantique. Cette première phase de recherche tend à maximiser l’exhaustivité des résultats, mais laisse aussi du bruit. Le meilleur résultat pourrait se trouver en position 50, et il pourrait y avoir beaucoup de résultats peu pertinents dans le top 50. Le reranker, un modèle LLM spécialisé, entre alors en scène : zerank-1 compare les documents deux à deux, comme des parties d’échecs, et attribue à chacun un score ELO. Chaque document monte ou descend dans la liste en fonction de sa pertinence, comme un joueur d’échecs après une partie. Résultat : les meilleurs résultats se retrouvent en haut de la liste et la recherche est beaucoup plus pertinente, ce qui est essentiel pour de nombreuses applications. Ce modèle est aussi beaucoup plus rapide que ce qui existe sur le marché, ce qui améliore drastiquement l’expérience utilisateur.
Même si votre projet est international, sentez-vous un ancrage marocain dans votre approche, vos valeurs ou votre équipe ? Quel rôle joue le Maroc dans l’écosystème de ZeroEntropy ?
À ce stade, une startup reflète avant tout ses fondateurs. Je suis marocaine et, en tant que CEO, j’insuffle la cadence, la stratégie et la culture. Mes valeurs viennent de ma famille, et surtout de mon père, lui-même entrepreneur, qui m’a transmis le goût du travail acharné, la rigueur, l’humilité et une ambition patriotique. Chaque décision chez ZeroEntropy s’appuie sur ces principes.
Quels conseils donneriez-vous à d’autres entrepreneuses et entrepreneurs marocains qui rêvent de créer une startup tech ambitieuse ?
Je leur dirais de choisir un problème vraiment mondial, pas seulement local ou européen. Puis recherchez très tôt du retour utilisateur : fail fast. Ensuite, bâtissez un réseau international tout en gardant une base locale pour le talent. Autres conseils : pitcher en chiffres et résultats, pas en concepts vagues, et mettre tout votre marketing, site et pitch deck en anglais afin d’afficher votre ambition internationale.
Quelle est votre ambition pour ZeroEntropy dans 3 à 5 ans ?
Notre ambition est de devenir la couche de recherche par défaut pour tout produit RAG, du chatbot interne à l’agent autonome. Je veux que ZeroEntropy indexe des milliards de documents chaque jour avec une latence inégalée.
Vous positionnez-vous comme un futur leader de l’IA appliquée à la recherche ? Ou envisagez-vous d’élargir votre terrain de jeu ?
Notre ambition dépasse le simple rôle de «moteur de recherche». Je veux que ZeroEntropy devienne le nouveau standard du context engineering : la science de fournir, en temps réel, le contexte exact et pertinent dont les agents d’IA ont besoin pour agir et répondre de façon autonome, fiable et traçable. En maîtrisant cette brique essentielle, nous établissons une plateforme centrale sur laquelle pourront se greffer toutes les applications d’IA.
Voyez-vous un jour ZeroEntropy évoluer vers des produits ou services grand public ?
Nous restons pour l’instant B2B, là où la douleur et le budget sont les plus forts. Nos API permettent toutefois à d’autres de créer des applications grand public, et nous n’excluons pas un produit maison si l’opportunité devient évidente.
Enfin, qu’est-ce qui vous rend le plus fière aujourd’hui dans cette aventure ?
La levée de fonds n’est qu’un signal qu’on tient quelque chose, mais la vraie victoire sera quand ZeroEntropy deviendra le standard du context engineering et propulsera nos clients au-delà de leurs limites actuelles. J’ai reçu énormément de messages de soutien suite à notre annonce, en particulier d’entrepreneurs et de technologistes marocains, et aussi de beaucoup de femmes. Je suis heureuse de montrer qu’il est possible pour une femme marocaine de suivre son ambition au bout du monde et d’essayer de se faire une place au milieu des startups IA les plus innovantes du monde à San Francisco. Enfin, voir la fierté de mes parents, qui ont tant investi dans mon éducation, est un carburant quotidien.
