Fiscalité : taxes intérieures à la consommation : une vieille fiscalité toujours en forme
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Les taxes intérieures à la consommation (TIC) font partie de cette fiscalité ancienne, installée pendant la période coloniale et maintenue après la grande réforme fiscale des années 1980, appliquée dans le cadre du «plan d’ajustement structurel» (PAS). Le nouveau n’a donc pas entièrement remplacé l’ancien. Au contraire.
Gérées par l’administration des douanes et impôts indirects, et bien que perçues à l’intérieur, les TIC font partie des impôts indirects, et sont presque invisibles, bien «diluées», dans le prix des produits achetés et consommés, comme du sucre ou du sel. En réalité, ces taxes font double emploi avec la TVA, instaurée au Maroc en 1985. Les recettes des TIC ont l’avantage (pour les finances publiques) d’être assises sur une base relativement stable, à la différence des recettes de la TVA qui sont influencées par la variation des prix. C’est surtout le cas des produits pétroliers dont les cours internationaux sont très variables. En cas de baisse des prix des produits pétroliers, les recettes des TIC limitent l’impact négatif de la baisse automatique des recettes TVA.
En 2024, les TIC ont rapporté 35,98 MMDH, soit 26,18% du total des impôts indirects (II) et 11,50% du total des recettes fiscales, (sur la base des chiffres publiés par la TGR (Bulletin mensuel des statistiques des finances publiques-BMSFP-, décembre 2024). C’est la 4ème source fiscale des finances publiques (FP) de l’Etat (en 2024), après la TVA (101,44 MMDH), l’IS (72,75 MMDH) et l’IR (60,52 MMDH). Le BMSFP de la TGR ventile ces taxes en trois catégories: la TIC sur les produits énergétiques qui a rapporté, la même année, 17,98 MMDH ; la TIC sur les tabacs manufacturés qui a généré 14,43 MMDH ; et la TIC sur «Autres» qui a permis de collecter 3,57 MMDH. A travers ces chiffres, apparaissent les «fumeurs» qui sont de bons contribuables puisque, pour chaque cigarette fumée, ils paient presque 100% de taxes (TIC + TVA). Par contre la TIC sur les produits pétroliers semble être menacée, mais pas pour demain, par la voiture électrique. Et que cache la rubrique «Autres» ? Le détail apparait dans les lois de finances où cette fois-ci, les TIC sont ventilées en sept catégories (Voir tableau ci-contre). Ce qui attire le plus l’attention, ce sont deux taxes: la taxe sur les vins et alcools, pour laquelle le projet de loi de finances de l’année 2026 prévoit une recette de 1,48 MMDH et la taxe sur les bières pour laquelle est prévue une recette de 1,96 MMDH. Et là aussi, comme les fumeurs de tabacs, les buveurs sont de bons contribuables puisqu’ils paient en taxes, presque 100% du prix de chaque bouteille, et même plus s’ils sont accoudés à un bar, cigarette allumée, ou dans un restaurant autorisé à servir l’alcool. Fumeurs et buveurs sont donc fiscalement des citoyens tout à fait respectables. Et «Allah Yaâfou !». «Surtout pas !», dirait l’administration fiscale concernée. C’est d’ailleurs presque la réponse donnée récemment par le Ministre délégué au Budget dans la commission des finances de la Chambre des représentants pour rejeter un amendement visant une hausse de la taxe sur les tabacs manufacturés. En effet, le taux de la TIC/tabac manufacturé semble avoir atteint la limite maximale qui, une fois dépassée, pourrait donner un effet inverse, en termes de la demande et donc de baisse des recettes, suite à l’abstention des consommateurs (ce qui serait bon pour la santé des consommateurs concernés) ou au développement des circuits informels.
Par ailleurs, le «paradoxe fiscal» (ou opportunisme fiscal) est ici manifeste. Les recettes provenant des taxes sur les boissons alcooliques et les bières sont versées dans le budget général pour devenir «incolores et inodores», bien «hallalisées», et financer la construction de belles mosquées, au moment où la Constitution affirme que «L’Islam est la religion de l’Etat, qui garantit à tous le libre exercice des cultes» (Article 3). En fait, la «pratique officielle des finances publiques» ne s’inscrit pas dans une vision globale et cohérente, en intégrant aussi bien les dimensions fiscale et financière que celles afférentes notamment à la santé et aux problèmes sociaux. Fondée sur le «pilotage à vue», cette pratique se limite à l’équilibre financier, c’est-à-dire au statu quo.
2025-12-07 11:00:00
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