Farid Mezouar: «Le succès appelle le succès en matière d’IPO»
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Avec une série d’introductions en Bourse (IPO) et un marché en nette reprise, la place casablancaise semble renouer avec une dynamique durable. Pour Farid Mezouar, expert des marchés financiers, cette accélération s’explique autant par les sorties stratégiques des fonds de private equity que par l’appétit retrouvé des investisseurs, séduits par des valorisations élevées et par des entreprises en pleine croissance. Malgré une nervosité persistante, l’essor des volumes, l’intérêt accru des particuliers et l’effet d’entraînement des dernières IPO confirment un tournant majeur pour le marché financier marocain.
Challenge : Depuis 2020, sept entreprises ont fait leur entrée à la bourse de casablanca : Aradei Capital (2020), TGCC (2021), Disty Technologies (2022), Akdital (2022), CFG Bank (2023) et CMGP Group (2024). En 2025, la tendance se poursuit avec l’introduction récente de Vicenne et celles attendues de Cash Plus et de SGTM d’ici la fin de l’année. Comment interprétez-vous ce regain d’intérêt pour le marché boursier marocain ?
Farid Mezouar : Il me semble que le principal catalyseur des IPO récentes est la sortie de fonds de private equity comme Mediterranea Capital (ex. : TGCC et Akdital). En effet, la Bourse constitue la sortie royale des fonds de capital-risque grâce aux bons ratios de valorisation obtenus lors de ces ventes. Surtout, depuis 2023, la bourse de casablanca évolue dans un canal haussier. Aussi, plusieurs sociétés introduites récemment en Bourse sont en phase de forte croissance avec des besoins assez importants en fonds propres. Notons également qu’un tel élan a pu être ralenti par la forte concurrence des IPO par les financements bancaires classiques ou structurés ainsi que par la dette privée. Sur ce dernier point, plusieurs exemples récents me viennent à l’esprit comme BLS/Voie Express ou Phosphoboucraa.
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Challenge : Avec trois opérations annoncées sur la seule année 2025, peut-on parler d’un véritable tournant pour les IPO au Maroc ? Cette dynamique est-elle appelée à se poursuivre dans les prochaines années ?
F.M : Nous sommes encore loin de l’euphorie de 2007-2008 avec un nombre pléthorique d’IPO. Cependant, avec un potentiel de trois introductions en Bourse en 2025, le rythme des IPO s’accélère légèrement avec un point d’inflexion fort probable. En effet, les ratios de valorisation sont attractifs après un quasi-doublement des cours par rapport à janvier 2023. Aussi, plusieurs groupes privés sont en pleine phase de croissance, ce qui ouvre la voie à la cotation. Notons également que la cotation confère une nouvelle stature et une exposition médiatique importante (ex. : Vicenne ou CMGP).
Challenge : Comment évaluez-vous le timing choisi par Cash Plus – et potentiellement par SGTM- pour leur introduction en Bourse ? Quels atouts ou risques voyez-vous dans le contexte actuel du marché ?
F.M : Malgré la nervosité actuelle des investisseurs, la bourse de casablanca affiche toujours des ratios de valorisation assez élevés avec un multiple de près de 21 pour les bénéfices, ce qui séduit les émetteurs et leurs actionnaires. Aussi, le succès appelle le succès en matière d’IPO car les boursicoteurs ont pu gagner de l’argent lors des dernières opérations. Toutefois, le timing exact de la cotation ne peut pas être maîtrisé en raison des contraintes réglementaires et du délai normal pour l’obtention du visa de l’AMMC.
Challenge : Selon la note d’opération, Cash Plus prévoit de distribuer en moyenne 85 % de son résultat net sur la période 2025-2030. Cette politique généreuse vise-t-elle surtout à attirer les investisseurs ou traduit-elle une stratégie durable de création de valeur ?
F.M : Vraisemblablement, ce pay-out est structurel, car il a oscillé, selon la note de l’IPO, entre 98,6 % et 110,9 % lors des quatre derniers exercices. Certes, ce pay-out élevé dope la valorisation par DDM (actualisation des dividendes), mais il est également lié au modèle économique de la société avec des besoins modérés d’investissement récurrent. En effet, le réseau physique est constitué en grande partie de franchisés (87 % du total). Aussi, le capital de Cash Plus est détenu en grande partie par des personnes physiques, ce qui est un bon signe pour la distribution de dividendes.
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Challenge : Avec une progression de près de 4 % du MASI au troisième trimestre et une capitalisation dépassant les 1 000 milliards de DH, estimez-vous que la bourse de casablanca a retrouvé une dynamique solide depuis le début de l’année ?
F.M : Tout à fait, car la performance globale réalisée en 2025 est assez importante. En effet, ces chiffres sont d’autant plus significatifs que les hausses s’accumulent et gonflent les ratios de valorisation, ce qui peut freiner l’appétit des investisseurs. De plus, comme signe de confiance, au deuxième trimestre, les personnes physiques marocaines ont réalisé une part de 27,9 % des échanges, un niveau qui n’avait plus été atteint depuis le troisième trimestre 2017. Aussi, l’opération d’augmentation de capital de TGCC a attiré 82 080 souscripteurs dont 80 486 personnes physiques.
Challenge : Les écarts de performance sont notables entre un secteur pharmaceutique ou bancaire en plein essor et une chimie en net recul. Que révèlent ces disparités sur la structure et la résilience du marché marocain ?
F.M : Les investisseurs semblent jongler entre la logique “top-down” et celle de “bottom-up”, surtout que plusieurs boursicoteurs font du trading avec des objectifs à court terme. En outre, chaque secteur a ses propres perspectives et contraintes, dans un contexte d’implication différente dans les chantiers de 2030. Ainsi, à titre d’exemple, pour le secteur de la chimie, la SNEP traverse une période de transition après l’investissement majeur réalisé. Aussi, la classification des secteurs est assez fragmentée, à l’image de l’hôtellerie avec une seule société. À ce niveau, je pense qu’on gagnerait à fusionner certains secteurs (ex. : immobilier sous toutes ses formes et hôtellerie), même si l’homogénéité n’y est pas parfaite.
Challenge : Les échanges dépassent 50 milliards de DH au troisième trimestre. Ce niveau d’activité témoigne-t-il d’un retour de confiance des investisseurs, notamment institutionnels, vers les actifs cotés ?
F.M : Ce sont surtout les OPCVM qui portent le marché boursier, avec une détention de 43 % de la capitalisation boursière flottante totale et une canalisation de 37 % des volumes échangés sur le marché central en 2025. Toutefois, il faut noter que plusieurs OPCVM représentent indirectement les institutionnels qui en détiennent la majorité des parts.
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Challenge : Après plusieurs IPO réussies et des signaux positifs sur les indices, quelles sont vos prévisions pour la bourse de casablanca d’ici la fin de 2025 ? Peut-on s’attendre à une poursuite du cycle haussier en 2026 ?
F.M : Il est difficile de faire des prévisions sur un horizon de court terme, surtout que la fin d’année est connue pour ses turbulences habituelles et le “window dressing”. Toutefois, de manière globale, nous sommes très optimistes pour 2026, avec une estimation du potentiel de hausse du MASI à deux chiffres, car le moteur structurel actuel de la Bourse est l’impact économique de l’organisation du Mondial 2030, avec un apport estimé à 1,7 % de croissance économique. Surtout, la dynamique du Mondial coïncide avec d’autres programmes volontaristes comme ceux du dessalement, des autoroutes de l’électricité ou des infrastructures portuaires. Par ailleurs, le PIB national devrait croître de 4,6 % l’an prochain, consolidant la croissance de 4,8 % prévue en 2025. En outre, rappelons la forte demande d’actifs financiers, car le bilan de l’opération de régularisation volontaire de la situation fiscale a atteint 127 milliards de DH à fin 2024.
2025-11-26 12:45:00
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