Dessalement: Où va le sel marin?
Qu’est-ce qui est fait des 16,8 milliards de kilogrammes de sels marins contenus dans la saumure extraits annuellement des 17 stations de dessalement d’eau de mer actuellement en service (Cf. leconomiste. com)? Et où iront les plus de 178 milliards de kg de sel marin qui seront annuellement issus des stations de dessalement marocaines à partir de 2030? Selon un spécialiste de l’énergie, la réponse est… «dans l’océan Atlantique et la mer Méditerranée ». Contactés, des développeurs de stations de dessalement sont restés très frileux sur la question. Aujourd’hui, leur préoccupation majeure est plutôt la compétitivité ou la rentabilité dans le dessalement, un combat qu’ils sont loin d’avoir gagné.
■ Un coût du mètre cube très salé
En effet, le coût du mètre cube d’eau dessalée au Maroc oscille entre 7 et 10 dirhams, contre 3 à 4 dirhams pour l’eau issue des barrages. «La contrainte que nous subissons vient notamment de la nouvelle directive qui impose de faire fonctionner les usines de dessalement avec de l’énergie renouvelable (solaire ou éolien ou les deux combinées) », explique l’un d’entre eux. Les stations de dessalement sont en effet très énergivores. Selon Hicham Bouzekri, Founder & CEO du cabinet African Technical Advisors, «le coût de l’énergie représente le principal contributeur au prix de revient de l’eau dessalée par osmose inverse. Dépendamment du site et de la configuration technique retenue, le coût moyen de l’énergie renouvelable utilisée (LCOE) représente entre 40 à 60% du coût de production de l’eau dessalée (LCOW – Levelized Cost of Water)». Cependant, «dans des pays dotés de ressources renouvelables performantes comme le Maroc, la combinaison d’énergies solaire et éolienne permet d’obtenir un coût de l’énergie bas et donc un coût de l’eau dessalée parmi les plus faibles au monde», tempère Bouzekri. Autre contributeur au coût de l’eau dessalée, coût du capital qui dépend de la capacité du développeur à mobiliser des fonds à taux d’intérêt faibles, précise l’expert. En tout cas, l’énergie renouvelable est désormais un must au Maroc qui réduit le coût d’exploitation des stations tout en préservant les villes et villages côtiers d’implantation des émissions de gaz à effet de serre.
■ Des études d’impact obligatoires, et après
Selon Fouad Amraoui, professeur d’hydrogéologie à la faculté des sciences de l’Université Hassan II de Casablanca, «de manière générale, nous ne pouvons pas lancer ces projets de dessalement sans réaliser d’études d’impact qui font ressortir les aspects positifs et négatifs». Pour lui, c’est tout simplement impossible. Parmi les aspects positifs d’un projet de dessalement, il y a la fourniture d’un approvisionnement en eau fiable et stable, la réduction de la pression sur les sources d’eau douce existantes, le soutien au développement économique local (agriculture, industrie) et l’amélioration de la résilience face au changement climatique. Parmi les aspects négatifs, dont on parle moins, il y a surtout les rejets de la saumure et l’impact sur la vie marine. Au Maroc, la méthode la plus courante pour se débarrasser de la saumure est de la rejeter dans la mer grâce à une conduite. Des diffuseurs sont, en effet, utilisés pour assurer un mélange rapide et efficace de la saumure avec l’eau de mer, aidant à disperser la concentration de sel et à «préserver l’environnement marin». Mais, le rejet de saumure, bien que dispersé, peut entraîner une concentration accrue de sel dans les eaux marines locales et affecter la faune et la flore, nécessitant une gestion rigoureuse.
En effet, cette eau fortement concentrée en sel et pleine de produits chimiques utilisés dans les étapes de prétraitement est dangereuse. Elle modifie localement la salinité et la température de l’environnement marin, créant des zones dites «hypoxiques». Dans ces zones, le faible taux d’oxygène nuit à la survie des espèces marines et altère l’équilibre écologique.
■ Des produits chimiques dans la saumure
Les produits chimiques présents dans la saumure, tels que les antiscalants (qui empêchent la formation de dépôts dans les membranes) et les biocides (utilisés pour prévenir la prolifération d’organismes dans les circuits), augmentent également la toxicité des rejets. Ces substances, bien qu’indispensables pour maintenir l’efficacité des centrales, posent un risque supplémentaire pour les écosystèmes marins, en particulier dans des zones comme l’Atlantique marocain, où la biodiversité est riche et essentielle pour la pêche locale. Dans les parties du littoral où ces rejets sont effectués, il y a de moins en moins de poissons. «Nous sommes désormais obligés d’aller encore beaucoup plus en profondeur dans l’océan pour trouver du poisson», affirme un opérateur de la pêche. Pour le professeur Amraoui, «les rejets de saumure ont moins d’impact dans l’océan Atlantique qu’en Méditerranée. La raison est que les courants marins qui permettent de disperser la saumure sont faibles en Méditerranée». C’est pourquoi, «il faut particulièrement surveiller les rejets de la station d’Al Hoceïma, mais aussi de celles qui seront érigées prochainement à Nador et à Tanger», recommande-t-il. «Les développeurs de stations de dessalement sont convaincus que la saumure rejetée en mer n’impacte pas l’écosystème marin», souligne Mokhtar Bzioui, président du Comité scientifique et technique de l’Institut méditerranéen de l’eau (IME).

Parmi les aspects positifs d’un projet de dessalement, il y a, entre autres, la fourniture d’un
approvisionnement en eau fiable et stable, la réduction de la pression sur les sources d’eau douce
existantes (Ph. AFP)
■ Des effets écotoxicologiques découverts par l’INRH
Pour le moment, il est difficile de connaître l’ampleur des impacts des rejets des 17 stations de dessalement en service. Car les publications sur le sujet ne sont pas encore nombreuses. Celle de l’Institut national de recherche halieutique (INRH) de 2023 sur les rejets de saumure au large de la station de dessalement de Chtouka Aït Baha dans la région d’Agadir, les experts y confirment que l’impact des rejets est pour le moment minime. En attendant d’en savoir plus, Bzioui explique qu’«à l’échelle mondiale, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO) vient de recommander à ses pays membres de procéder à la valorisation du sel marin pour en extraire des minéraux critiques comme le lithium, le potassium, etc.». Ce que le Maroc a commencé avec le Groupe OCP.
La saumure, une eau 1,5 fois plus salée
En matière de dessalement, il faut 3 litres d’eau de mer pour produire 1 litre d’eau dessalée. Cela veut dire que les 2 litres d’eau de mer qui sortent des usines de dessalement (la saumure) sont 1 fois et demie plus salée que l’eau de mer qui contient en moyenne 35 grammes de sel marin. Chaque mètre cube de saumure contient 52,5 kg de sel marin. Sachant que les productions d’eau dessalée se chiffrent généralement en millions de mètres cubes par an par station, la quantité de sel marin rejetée par station se compte donc également en millions, voire en milliards de kg par an. Dans le cas de la station de dessalement de Laâyoune, pour produire 9,49 millions de m3 d’eau dessalée par an, le site rejette 18.980.000 m3 de saumure, soit 996,45 millions de kilos de sel en mer chaque année. Ces rejets salins, rapportés au niveau national, se comptent en milliards de kg, puisque le Royaume compte actuellement 17 usines de dessalement en activité qui produisent annuellement 320,3 millions de m3. Pour y arriver, ces stations rejettent chaque année 16,8 de kg de sel en mer. A l’horizon 2030, 11 nouvelles stations seront construites et porteront la capacité cumulée de production d’eau dessalée à 1,7 milliard de m3 par an. A partir de cette échéance, le Royaume va rejeter dans l’Atlantique et la mer Méditerranée 3,4 milliards de m3 de saumure contenant 178,5 milliards de kg de sel marin chaque année.
Un plan de suivi environnemental nécessaire
L’INSTITUT national de recherche halieutique (INRH) a étudié les rejets de saumure de la station de dessalement de Chtouka Aït Baha dans la région d’Agadir en 2023. Il en ressort que les impacts environnementaux directs qui se résument principalement aux rejets de saumures (eaux plus chargées en sels) et certains produits chimiques (notamment les métaux lourds, certains résidus de floculant, de coagulants ou de détartrants antisalissure), sont largement réduits ou éliminés dès qu’on s’éloigne de la proximité directe des points rejets. La courantologie, l’hydrologie et le pouvoir diluant de l’océan font que ces impacts observables de façon minime aux alentours directs des lieux de déjection des effluents du dessalement s’estompent au large. C’est aussi le cas des légères augmentations de salinité, de température de surface de l’eau et d’effets écotoxicologiques, qui ne concernent que la proximité directe de la zone réceptacle des rejets de la station. Les effets observés disparaissent aussi dès que l’on s’éloigne du point rejet. Cependant, dans un objectif de durabilité et d’essor du secteur du dessalement, l’accompagnement de ces projets et la gestion par un plan de suivi environnemental s’imposent, recommande l’INRH.
Aziz DIOUF
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2025-10-16 19:40:40
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