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Badr Ikken : À court terme, le développement de l’ammoniac vert constitue la priorité

Badr Ikken : À court terme, le développement de l’ammoniac vert constitue la priorité

Badr Ikken : À court terme, le développement de l’ammoniac vert constitue la priorité

Le Matin : Le Maroc affiche de grandes ambitions sur l’hydrogène vert. Où en est-on concrètement ?

Badr Ikken :

Le Maroc bénéficie d’un potentiel exceptionnel pour devenir un acteur central dans l’économie mondiale de l’hydrogène vert. Ses ressources solaires et éoliennes abondantes, combinées à sa proximité avec l’Europe et une vision politique forte, en font un territoire propice au développement de cette filière stratégique. Il s’agit aussi du marché régional le plus stratégique à l’échelle mondiale, en raison de la proximité géographique entre les zones de production (au Maroc) et les zones de consommation (en Europe).

L’Europe vise l’importation de plus de 1 200 TWh de consommation annuelle d’hydrogène bas carbone à horizon 2040, soit entre 20 et 35 millions de tonnes par an. Cette demande colossale proviendra notamment du secteur de la chimie (y compris la production d’engrais), de l’industrie lourde (sidérurgie, cimenterie), des transports longue distance (maritime et aérien), ainsi que de la production de chaleur et d’électricité industrielle. Le Maroc figure parmi les rares pays capables d’y répondre de manière crédible, en s’appuyant sur une stratégie nationale anticipative.

La coopération internationale dans le domaine de l’hydrogène vert est aujourd’hui entrée dans une phase de consolidation. Le Maroc s’y distingue comme un acteur stratégique en Afrique, à la fois crédible, stable et attractif pour les investissements. La dernière publication de Nature Energy (2 juin 2025) en témoigne clairement : le Maroc affiche le coût du capital (COC) le plus bas du continent, avec 8,1 % en scénario commercial et 10,6 % en scénario dé-risqué, très en dessous des moyennes africaines. Ce différentiel reflète à la fois la confiance des investisseurs et la solidité des politiques publiques marocaines dans le secteur des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert. Le Maroc offre donc aujourd’hui l’un des environnements les plus compétitifs du continent pour les investissements dans l’hydrogène vert, en combinant rentabilité des projets et stabilité des conditions d’investissement.

Aujourd’hui, une cinquantaine de projets ont été soumis dans le cadre du programme national « Offre Maroc H₂ », et huit projets majeurs, portés par OCP, NAREVA, ENGIE, TEH2, CIP, AP Moller Capital, TAQA, CEPSA, Ortus, Acciona, Nordex, ACWA Power, UEG et China Three Gorges, ont été présélectionnés. Ces acteurs avancent activement sur leurs études, en lien avec MASEN qui pilote le processus d’allocation des terrains. Cette ambition s’inscrit dans le cadre de la feuille de route hydrogène vert du Maroc, qui fixe un objectif de 160 GW de capacités renouvelables à déployer à l’horizon 2040–2050, spécifiquement dédiées à la production d’hydrogène vert et de ses dérivés. Parmi les usages prioritaires, l’ammoniac vert se détache comme filière de premier plan. Le Maroc importe actuellement plus de 2 millions de tonnes d’ammoniac par an. Alors que les prix internationaux ont atteint des pics supérieurs à 1 000 dollars la tonne en 2022, une production locale pourrait devenir compétitive autour de 650–700 dollars/tonne à partir de 2028. Ce choix stratégique repose sur des technologies matures, une logistique existante et un débouché immédiat pour la production d’engrais ou pour l’export.

Comment, à votre avis, orchestrer la complémentarité entre gaz naturel et hydrogène vert pour construire un mix énergétique durable et résilient ?

La stratégie bas carbone du Maroc repose sur une articulation cohérente entre trois piliers : les énergies renouvelables, le gaz naturel et l’hydrogène vert. Cette combinaison vise à construire un mix énergétique à la fois durable, flexible et résilient.

À court terme, le développement de l’ammoniac vert constitue la priorité. Produit localement à partir d’hydrogène vert et valorisé dans l’industrie des engrais, il représente un débouché direct, économiquement viable, appuyé sur une demande nationale forte et des infrastructures logistiques existantes. À moyen terme, le projet structurant du gazoduc Nigeria-Maroc jouera un rôle central. Il permettra non seulement d’acheminer du gaz vers l’Europe, mais également d’intégrer progressivement du blending, c’est-à-dire l’injection d’hydrogène vert dans le réseau gazier, ce qui optimisera l’usage des infrastructures tout en réduisant l’empreinte carbone des flux exportés. Ce gazoduc, par son envergure continentale, ouvre par ailleurs des perspectives majeures d’intégration énergétique Sud-Nord, et de production de e-fuels en bordure de son tracé.

Le gaz naturel, en parallèle, reste une énergie de transition précieuse. Il permet de sécuriser l’approvisionnement, de compenser l’intermittence des renouvelables et de stabiliser le réseau électrique. Cette flexibilité est essentielle pour accompagner le développement progressif de solutions hybrides renouvelables-hydrogène.

À long terme, le Maroc ambitionne d’attirer sur son territoire des industries intensives en hydrogène vert, notamment la production d’acier par réduction directe (DRI), la chimie bas carbone ou encore la fabrication de matériaux de construction décarbonés. Cette implantation industrielle sera rendue possible grâce à une co-localisation intelligente des infrastructures énergétiques et industrielles, et à une montée en puissance des capacités nationales en matière de production, de logistique et de formation.

En résumé, l’ammoniac vert constitue le premier maillon activable de la chaîne (court terme), suivi du blending et des carburants de synthèse (moyen terme), jusqu’à l’émergence d’un tissu industriel décarboné au Maroc même (long terme). C’est cette trajectoire progressive, pragmatique et articulée qui rend la stratégie marocaine robuste et crédible.

Quelles sont vos recommandations pour maximiser les retombées industrielles du développement de l’hydrogène vert au Maroc ?

Les projets d’hydrogène vert représentent des centaines de milliards de dirhams d’investissements. Le Maroc a aujourd’hui l’opportunité de capter plus de 30% de cette valeur, à condition de structurer l’ensemble de l’écosystème autour de trois leviers clés : l’intégration industrielle locale, le renforcement des capacités humaines et technologiques, et la mise en place d’un environnement financier adapté aux PME.

• Intégration industrielle : les grandes entreprises marocaines peuvent devenir les moteurs d’un véritable effet d’entraînement national. À titre d’exemple, SONASID, Maghreb Steel, Riva Industries ou Mafoder sont bien positionnées dans la métallurgie pour produire des structures de support, des tours d’éoliennes, ainsi que des équipements de transport et de stockage de l’hydrogène et de ses dérivés. De leur côté, Energy Transfo, BelTransfo, Centrelec, Ingelec ou Nexans Maroc sont actifs dans les systèmes électriques, transformateurs, onduleurs, câbles moyenne et haute tension, indispensables aux infrastructures hydrogène vert. Jet Energy et AdiWatt pourront apporter également une contribution précieuse dans les systèmes photovoltaïques, notamment l’EPC, les structures de montage et de tracking ainsi que les solutions de connectique. Enfin, de nombreuses PME marocaines spécialisées dans les pompes industrielles, les citernes, les vannes, ou les systèmes d’automatisation pourront également trouver leur place dans la chaîne de valeur. Il sera aussi pertinent de structurer certaines filières via des partenariats industriels ciblés : par exemple avec des fabricants chinois pour les cellules photovoltaïques, ou avec des leaders allemands et européens pour les électrolyseurs, les systèmes de contrôle, ou encore les compresseurs.

• Capacités et RDI : la montée en puissance des compétences est essentielle pour accompagner cette transformation. Des plateformes comme GreenH2A, portées par OCP, UM6P, IRESEN et GEP, à Jorf Lasfar posent les premiers jalons, en intégrant recherche appliquée, qualification technologique et formation. Il sera nécessaire d’aller plus loin, en mobilisant tout le tissu académique et technique du pays : universités, écoles d’ingénieurs, centres de formation professionnelle, instituts techniques et pôles de compétitivité. La création d’un réseau national de R&D appliquée, combiné à des centres d’essais et de certification industrielle, permettra de renforcer l’innovation, d’assurer la conformité des technologies, et de structurer une formation continue adaptée aux besoins réels du marché.

• Environnement financier : pour permettre aux PME de jouer pleinement leur rôle dans cet écosystème, des dispositifs financiers spécifiques doivent être mis en place. Cela implique de faciliter l’accès au financement du besoin en fonds de roulement (BFR), de renforcer l’intervention des banques de développement internationales, de structurer une banque nationale dédiée au financement de la transition industrielle, et de fluidifier l’accès à la commande publique. Ces leviers sont indispensables pour transformer le potentiel industriel marocain en réalité tangible et durable.


2025-06-08 13:40:00

lematin.ma

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