Art & Culture Week-End – Culture en vrac
■ Matisse, Tanger et la lumière
En 1912, Matisse quitte un Paris gris pour Tanger. Il a 42 ans, il doute, il cherche un terrain plus vaste que les querelles de chapelle. Jeff Koehler raconte ce déplacement comme une expérience intérieure et un voyage, mise à l’épreuve par la lumière, l’air et les motifs du quotidien. Le livre suit pas à pas les deux séjours tangérois, de janvier à avril 1912 puis d’octobre à février 1913, sans thèses superflues. Il s’attache à la matière vécue, hôtels, ateliers improvisés, objets, mo-dèles, et montre comment l’obsession de Matisse pour la clarté ainsi que son aversion du gloom trouvent à Tanger une issue presque physiologique.
Koehler raconte à hauteur d’atelier et suit la trame concrète du séjour, hôtels, objets, modèles, intempéries. La peinture avance par ajustements successifs, une averse qui modifie la lumière, une nuit d’insomnie, un modèle attendu, puis l’accord juste de la couleur. La recension du Wall Street Journal insiste sur cette précision, sept mois condensés où la ville devient atelier étendu et laboratoire chromatique. Le contexte politique, un Maroc en emprise coloniale, reste en arrière-plan, Matisse se concentre sur le visible et sur l’architecture du plan.
■ Jusqu’au dernier souffle
Habiba Touzani Idrissi signe, chez La Croisée des chemins, un roman qui fait entendre, de l’intérieur, la voix de Yahya, enfant puis adulte avec un trouble du spectre autistique. Le récit s’ouvre sur sa disparition et remonte, depuis un hangar où il est séquestré, les étapes d’une exis-tence en friction avec le monde: naissance difficile, lien fusionnel avec sa mère Sarah, recherche d’une scolarité adaptée, puis d’un travail, et la brutale irruption d’une violence sociale qu’il comprend mal. Ce n’est ni un témoignage clinique ni un essai: le livre place le lecteur dans la conscience d’un être dit «différent», interrogeant nos normes sans didactisme.
La force du texte tient à une tension tenue entre dureté et douceur: moqueries, lâchetés, figures prédatrices, mais aussi percées de lumière qui réhabilitent la tendresse, le premier «maman» arraché à Yahya pour réconforter Sarah, l’éblouissement des bulles multicolores dans un jardin. A travers Yahya, «l’autiste qui redoute tout contact hors de sa bulle» mais doit apprendre à vivre avec les autres, l’autrice propose une allégorie d’espérance: croire en la vie malgré la brutalité ambiante. Porté par une écriture sobre et empathique, Jusqu’au dernier souffle met en lumière ce que la société ne voit pas. Une altérité proche, qui nous oblige à déplacer notre regard et à reconnaître, sous l’étiquette, une humanité commune.
A.Bo
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2025-10-09 16:18:01
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