Agriculture : des pluies salvatrices mais une pénurie d’eau structurelle
Mais ce retour de la pluviométrie ne doit nullement faire oublier à l’État l’urgence d’accélérer les chantiers de mobilisation des eaux non conventionnelles – dessalement, traitement des eaux usées – pour les besoins agricoles. La raréfaction des précipitations d’année en année, conséquence du changement climatique, installe durablement l’incertitude dans le monde agricole.
«C’est devenu une réalité. Au début de chaque saison agricole, les agriculteurs, en particulier ceux spécialisés dans la céréaliculture, sont dans l’expectative. Non seulement ils attendent les premières gouttes de pluie pour enclencher le semis de leurs terres, mais ils renouvellent aussi chaque année l’espoir que la campagne agricole soit suffisamment pluvieuse pour résorber le déficit hydrique des années précédentes et restaurer la santé des sols. Suite à ces années de sécheresse, les terres agricoles ont subi une dégradation de leur potentiel productif. Les sols s’appauvrissent en matière organique, perdent leur humidité naturelle et voient leur structure se détériorer, réduisant leur capacité à retenir l’eau et à nourrir les cultures. Dans de nombreuses régions du Royaume, cette aridité persistante a entraîné la stérilisation partielle des terrains, l’érosion éolienne ou hydrique et parfois la salinisation des sols», explique au journal «Le Matin» Abdelmoumen Guennouni, ingénieur agronome.
Au-delà de l’impact physique, la raréfaction de l’eau bouleverse les cycles de production et pousse des milliers d’agriculteurs, notamment les petits et moyens, à l’abandon pur et simple de leurs terres ou, dans des cas très rares, à une reconversion forcée, fragilisant ainsi l’équilibre socio-économique des territoires ruraux.
Mais peut-on espérer un retour de la pluviométrie à ses niveaux d’antan, avec une bonne répartition dans le temps et l’espace ? «Il ne faut pas rêver !» tranche notre interlocuteur. Avec le changement climatique, ce scénario relève de la pure fiction. «Non, le ciel ne sera plus généreux comme avant. C’est pour cela que l’État doit revoir en profondeur sa politique agricole. Certains parlent aujourd’hui de reconversion des cultures. Or, même la reconversion des terres agricoles vers des cultures à haute valeur ajoutée est très complexe dans le contexte actuel, car elle dépend de l’irrigation, elle-même fortement tributaire de la pluviométrie», soutient Guennouni.
Selon lui, l’État doit également renforcer le conseil agricole. «Un bon modèle agricole dépend d’un dispositif de conseil et d’accompagnement efficace, couvrant l’ensemble des territoires et s’adaptant à la vocation agricole de chaque zone. Les petits et moyens agriculteurs sont les plus sinistrés dans la configuration agricole actuelle. Ces acteurs n’ont ni les moyens ni l’expertise nécessaires pour adapter leurs terres au contexte climatique actuel. Je citerai l’exemple des techniques d’irrigation économes en eau. L’État a certes beaucoup investi dans leur diffusion, mais s’équiper d’un système d’irrigation en goutte-à-goutte ne garantit pas automatiquement une économie de l’eau. Un agriculteur mal conseillé n’en fera pas un usage approprié et n’obtiendra pas les résultats escomptés. Cela vaut aussi pour l’utilisation des engrais et autres intrants agricoles», conclut l’ingénieur agronome.
Le Maroc, un «point chaud» climatique
Les précipitations suivent une tendance générale à la baisse, avec des régimes de plus en plus irréguliers, et ces changements devraient s’accentuer au cours des prochaines décennies. Le Royaume est confronté à des phénomènes météorologiques extrêmes, caractérisés par de fortes variations de température, entraînant des sécheresses persistantes dans les plaines semi-désertiques et des inondations dans les zones côtières. Ces événements affectent la disponibilité de l’eau, avec des répercussions importantes sur les ressources naturelles, les écosystèmes et l’accès des populations à l’eau potable ou d’irrigation agricole.
Les données climatiques des vingt-cinq dernières années montrent que le climat est hautement variable, avec des tendances notables au réchauffement et à des déficits pluviométriques. Dans l’ensemble, la température moyenne, toutes saisons confondues, a augmenté de +0,6 à +1,4 °C selon les régions au cours des quarante dernières années. Cette hausse s’est particulièrement accentuée à partir des années 1980 et 1990, période accompagnée d’une recrudescence des sécheresses.
Les projections climatiques, basées sur l’évolution annuelle des précipitations et des températures moyennes selon le scénario optimiste du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), indiquent que les températures moyennes annuelles devraient augmenter de 1 à 1,5 °C d’ici 2050-2080 sur l’ensemble du territoire. Selon le scénario pessimiste, cette hausse pourrait atteindre 5 à 7 °C au sud-est des montagnes de l’Atlas, 4 à 5 °C dans les régions méditerranéennes, atlantiques et centrales, et 3 à 4 °C dans les provinces du Sud du Royaume.
La période 2019-2022 a été la plus sèche depuis les années 1960. En 2023, également marquée par un faible niveau de précipitations, le Maroc a connu cinq vagues de chaleur, dont un record absolu de 50,4 °C enregistré à Agadir en août.
Autre donnée préoccupante : le Maroc figure parmi les pays les plus pauvres en eau au monde et s’approche rapidement du seuil critique de pénurie absolue, fixé à 500 m³ par habitant et par an. Selon une évaluation préliminaire de la vulnérabilité climatique et environnementale, le Royaume connaît un déficit pluviométrique estimé à 32% depuis 2019.
Les ressources en eau totales du Maroc sont évaluées à 22 milliards de m³, dont 18 milliards provenant de l’eau de surface et 4 milliards d’eau souterraine. Depuis la fin des années 1970, les apports en eau de surface ont nettement diminué, passant d’une moyenne annuelle de 22 milliards de m³ à des volumes inférieurs, témoignant d’une baisse structurelle de la disponibilité en eau dans le pays.
2025-11-13 16:54:00
lematin.ma





