Immobilier: l’État traque le cash pour assainir l’économie
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L’ère des transactions non tracées au Maroc touche à sa fin. Face à l’ampleur persistante des liquidités circulant hors des circuits bancaires, le gouvernement marocain, par le biais du Projet de Loi de Finances (PLF) 2026, introduit des mesures fiscales directes et dissuasives, marquant une offensive stratégique pour forcer la bancarisation et intégrer durablement l’économie informelle. Ces réformes, bien qu’ambitieuses dans leur objectif d’assainissement, soulèvent déjà des inquiétudes quant à leur impact immédiat sur des secteurs clés, notamment l’immobilier.
L’instrument fiscal le plus notable pour décourager l’usage du cash est l’introduction, à partir de 2026, d’une surtaxe de 2% sur certaines transactions majeures réalisées sans preuve de traçabilité bancaire. Cette mesure vise spécifiquement les mutations à titre onéreux de biens immeubles et de fonds de commerce.
La surtaxe sur le cash : l’alerte de 2026
Concrètement, le droit d’enregistrement applicable à ces opérations – variant actuellement de 4 à 6% selon la nature du bien – sera majoré de deux points si l’acte de transaction ne mentionne pas les modalités et références de règlement, c’est-à-dire s’il n’est pas effectué par des moyens traçables. Payer en espèces pourrait donc coûter plus cher.
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Le gouvernement entend encourager par cette pression fiscale une traçabilité totale des flux financiers, considérée comme essentielle pour assainir le climat des affaires et renforcer la confiance dans le système bancaire.
Les défis de la formalisation et les conséquences sur l’immobilier
Malgré les objectifs macroéconomiques louables (réduction de la fraude, blanchiment d’argent et corruption), la mise en œuvre de la traçabilité rencontre des résistances pratiques, notamment dans le secteur immobilier.
Dès le 1er juillet 2024, de nouvelles exigences ont été introduites pour obtenir l’attestation fiscale prévue par l’article 95 du Code de recouvrement des créances publiques (CRCP). Cette attestation exige désormais du vendeur de fournir, entre autres, l’origine de propriété, le permis d’habiter, une copie de la CNIE, et le projet d’acte de vente ou de promesse de vente.
Les notaires déplorent que ces nouvelles exigences administratives risquent de retarder le processus de vente et pourraient aboutir à un sérieux freinage des transactions immobilières. L’obligation pour le notaire de retenir des sommes «pré-saisies» pour régler les impôts du vendeur peut même conduire ce dernier, s’il comptait sur le produit de la vente pour s’acquitter de ses dettes, à renoncer à la transaction, après que les démarches administratives aient été effectuées.
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Elargissement du champ de contrôle fiscal via le PLF 2026
Le Projet de Loi de Finances 2026 propose d’autres mesures visant à renforcer l’efficacité fiscale et la traçabilité, au-delà de la pénalisation directe du cash dans l’immobilier :
1. Réforme de la retenue à la source (RAS) : Le PLF 2026 prévoit une extension graduelle de la retenue à la source (RAS) au secteur privé. L’élargissement de la RAS (initialement limitée au secteur public) suscite d’ailleurs l’inquiétude de la profession comptable.
2. Transparence des marchés publics : Les marchés publics et les actes/conventions de réalisation de travaux, fournitures ou services pour le compte de l’État, des collectivités territoriales, des entreprises et établissements publics et leurs filiales seront soumis à un droit d’enregistrement proportionnel de 0,1 %. Ce droit sera supporté par les titulaires des marchés. Cette mesure vise à garantir la communication systématique des informations relatives à ces marchés à l’administration fiscale et à renforcer leur traçabilité.
3. Lutte contre la Fraude à la TVA : Pour contrecarrer la fraude en matière de TVA liée aux opérations difficilement traçables, le PLF 2026 propose un régime d’auto-liquidation obligatoire de la TVA. Cela concernerait spécifiquement les entreprises industrielles pour leurs achats de déchets industriels et de matières de récupération auprès de fournisseurs locaux.
4. Déductibilité des paiements en espèces : Bien que non spécifiquement détaillées dans les nouvelles surtaxes immobilières, les questions fiscales montrent un encadrement des charges payées en espèces, avec des plafonnements de déductibilité déjà en place pour inciter au paiement par voie bancaire.
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Une stratégie de formalisation poursuivie
Ces mesures s’inscrivent dans une démarche continue des autorités. Il est à noter que la Direction Générale des Impôts (DGI), par la voix de son directeur général Younes Idrissi Kaitouni, a déjà affirmé que l’opération récente d’amnistie du cash, qui a permis de régulariser 125 milliards de dirhams (MMDH) dans les circuits bancaires, ne sera pas reconduite. L’approche favorise désormais la coercition fiscale via des mesures permanentes.
In fine, l’impact macroéconomique de ce découragement du cash est double : d’une part, il cherche à accroître la base fiscale et la transparence des flux financiers, essentielles à la modernisation économique ; d’autre part, il génère une complexité administrative et un risque de ralentissement de l’activité transactionnelle dans des secteurs sensibles comme l’immobilier si la transition vers la traçabilité n’est pas facilitée. Le pari du PLF 2026 est de transformer les habitudes économiques profondément enracinées.
2025-11-20 15:30:00
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