Othmane Benkirane dévoile les ambitions de KITEA à l’international
Le Matin : Pourquoi avoir choisi d’inaugurer le magasin de Laâyoune à cette date précise qui coïncide avec 50ᵉ anniversaire de la Marche Verte ?
Othman Benkirane : Avant d’être des hommes d’affaires, nous sommes des Marocains patriotes. KITEA a été fondé il y a 32 ans au Maroc par un Marocain. Aujourd’hui, nous sommes plus de 1.500 collaborateurs, marocains à 99,9%. Si nous avons investi pendant plus de trois décennies sans relâche, malgré toutes les difficultés, c’est parce que nous faisons confiance à la trajectoire de notre pays. Si nous pouvons contribuer à cette dynamique à travers notre expansion –comme à Laâyoune –, nous en serons très fiers. C’est notre manière d’apporter notre pierre à l’édifice. Avant de nous développer à l’international, nous avons d’abord grandi au Maroc. C’est le Maroc qui nous a fait grandir, qui nous a donné la possibilité de nous développer. Nous ne l’oublierons jamais. Le plus important pour nous, c’est de hisser le drapeau marocain à travers notre expansion internationale. Nous avons réussi à le faire au Ghana, nous le faisons au Kenya aujourd’hui, et nous le ferons Inchallah aussi au Moyen-Orient. Notre objectif chez KITEA est de servir l’ensemble des Marocains, sur tout le territoire. Après avoir ouvert nos magasins géants dans les grandes villes – Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech –, nous voulons aujourd’hui renforcer ce maillage dans les villes de 250.000 à 300.000 habitants. Ouvrir à Laâyoune était une évidence. La question ne se posait même pas. Dès le premier jour, quand l’opportunité s’est présentée, le choix s’est imposé naturellement.
Concernant l’ouverture du 6 novembre dernier, nous nous étions fixé cette mission il y a un an et demi avec toutes les équipes. Nos équipes développement et exploitation ont travaillé jour et nuit, portées par un patriotisme sans faille, pour tenir cette date. Ce fut un véritable record : normalement, un KITEA géant demande 24 mois pour voir le jour. Celui de Laâyoune a été livré en 9 mois – 6 mois de construction, 3 mois d’aménagement. Toutes les personnes mobilisées dans ce magasin avant l’ouverture ont fait montre d’un engagement rare, celui d’une famille qui tenait à offrir à cette ville chère à nos cœurs une ouverture digne du 50e anniversaire de la Marche verte. Nous ne l’oublierons jamais.
Comment trouvez-vous le cadre économique dans les provinces du Sud en tant qu’acteur privé marocain ?
Je connais très bien les provinces du Sud. Je me suis rendu plus d’une dizaine de fois à Laâyoune et environ cinq fois à Dakhla. J’apprécie beaucoup ces villes. On y trouve une forme d’apaisement qu’on ne trouve pas ailleurs. Les habitants sont animés d’une volonté sincère de voir leur région se développer. À chaque visite à Dakhla, je reçois des demandes pour qu’on y ouvre un magasin. Encore hier, j’ai reçu une dizaine de messages à ce sujet. C’est effectivement un projet sur lequel nous travaillons. Nous avons l’ambition d’ouvrir un deuxième magasin dans la région. Ce ne sera pas pour demain, mais c’est dans nos plans. C’est important pour nous d’être présent en force dans nos provinces du Sud. Le développement de Laâyoune est remarquable. Les chantiers et les projets sont partout. Voir toutes ces grues à l’œuvre est saisissant. La ville connaît une expansion considérable. Nous voulions contribuer à cette dynamique, à notre échelle.
Quels sont les éléments-clés qui ont motivé l’investissement de 60 millions de dirhams à Laâyoune? Avez-vous mené une étude de potentiel économique spécifique à la région ?
Oui, nous avons investi plus de 60 millions de dirhams, soit le montant habituel pour un magasin de cette taille : 4.300 m² de surface commerciale. Nous avons établi un business plan détaillé pour comprendre comment le magasin allait fonctionner. Mais au-delà de l’aspect économique – évidemment essentiel pour la viabilité du projet –, c’était surtout la fibre patriotique et la volonté de contribuer à la dynamique de développement du sud du Royaume qui nous ont confortés dans la conviction qu’il fallait ouvrir un magasin dans cette ville. Cela dit, nos études sont solides. Nous nous sommes assurés de la viabilité du projet. La difficulté principale était d’acheminer la marchandise depuis notre centre de distribution à Casablanca vers Laâyoune, tout en maintenant les mêmes prix. C’était un facteur crucial à prendre en compte. Le jour où nous avons décidé d’ouvrir à Laâyoune, l’engagement était clair : assurer le même service et la même offre que partout ailleurs au Maroc.
Nous avons travaillé pendant un an avec notre équipe Supply Chain pour trouver la solution logistique. Aujourd’hui, un habitant de Laâyoune peut se faire livrer un produit vu en magasin en moins de sept jours. Depuis l’ouverture, nous livrons les clients quotidiennement et les retours sont positifs. La première question des clients lors de l’inauguration portait sur les produits et les prix : sont-ils identiques à ceux pratiqués dans les autres régions du Maroc ? Nous étions très fiers de répondre que oui. Franchement, ce n’était pas simple avec de telles distances. Mais nous avons mis en place une plateforme logistique dans la ville qui permet désormais des livraisons régulières.
Ce magasin est qualifié de «quatrième génération». Pouvez-vous détailler en quoi ce concept marque une rupture par rapport aux précédentes ouvertures de KITEA ?
Les magasins de quatrième génération sont, selon nous, parmi les plus beaux magasins de meubles au monde dans notre positionnement et notre secteur. L’idée était de redéfinir l’expérience client en magasin à travers un nouveau parcours permettant de mieux se plonger dans l’univers de chacun de nos produits. Nous avons neuf univers, du living aux accessoires. Notre objectif : que le client passe un bon moment en famille, qu’il se projette dans ces différents univers et découvre quelque chose de différent de ce qu’on voit habituellement au Maroc. Nous avons lancé notre premier magasin de quatrième génération à Agadir il y a plus de trois ans. Ce fut un vrai succès. Ces magasins se sont différenciés de ce que nous faisions avant. Contrairement aux générations précédentes, nous avons d’abord travaillé les produits, puis conçu les magasins en fonction d’eux. Cette approche suscite l’intérêt. De nombreuses enseignes, marocaines et internationales, viennent visiter ces magasins. De grandes structures nous appellent pour en savoir plus sur nos concepts, et je prends plaisir à les leur faire découvrir. C’est la preuve du savoir-faire et de la résilience des entreprises marocaines, capables d’innover dans des marchés moins vastes que l’Europe ou l’Amérique.
Concrètement, ces magasins sont plus agréables, plus interactifs. Tout est pensé pour servir le client au mieux et mettre en valeur nos produits : espaces financement dédiés, espaces livraison, caisses sur chaque section, signalétique claire pour ne jamais se perdre. Les coloris et le code couleur ont été repensés pour apaiser le regard. Dans un grand magasin, on se perd facilement. Nous avons voulu éviter l’effet labyrinthe de certaines enseignes. À la fin du parcours, les clients nous disent que c’était facile et fluide. C’est vraiment une rupture. Aujourd’hui, nous en avons cinq et nous comptons en ouvrir cinq autres, Inchallah, au Maroc et à l’international. C’est le futur de l’enseigne, décliné en deux formats : des KITEA géants de plus de 10.000 m² comme à Zenata et Agadir, et des magasins de 4.000 à 5.000 m² pour les villes moins peuplées, comme Laâyoune ou Kénitra.
Quel est l’impact attendu de ce projet sur l’économie locale à moyen terme, au-delà des 60 emplois créés ? Envisagez-vous par exemple des partenariats avec des fournisseurs ou des artisans régionaux ?
Comme nous l’avons dit, 98% des collaborateurs recrutés dans ce magasin sont de Laâyoune. Il était important pour nous de recruter des gens issus de la ville, qui connaissent la région et sa dynamique. Ce sont 60 collaborateurs qui ont été recrutés localement. Nous considérons, globalement, que nous avons contribué à créer autant de postes indirects. Concernant les partenariats avec les artisans, cette approche est adoptée au plan national. Nous avons conclu il y a plus de trois ans avec le ministère du Commerce et de l’industrie un partenariat pour développer les usines et lignes de production au Maroc. C’est ce qui manque en réalité dans notre secteur d’activité. D’ailleurs, ce sera dans l’intérêt de KITEA d’avoir des usines proches capables de nous fournir localement. Cela dit, nous avons créé, ou accompagné du moins, des entrepreneurs à se lancer dans ce secteur. L’écosystème à l’œuvre aujourd’hui se trouve à Tanger parce que pour qu’une ligne de production et une usine soient viables, il faut aussi être en mesure d’exporter. Le marché européen est forcément très important au niveau du meuble. Nous avons donc choisi cet emplacement au niveau de Tanger, dans la zone économique spéciale de Tanger, pour permettre à ces usines de se développer à travers l’export.
La formation des nouveaux collaborateurs a été effectuée dans plusieurs villes. Pourquoi avoir choisi ce modèle plutôt que de centraliser tout à Laâyoune ?
Nos équipes développement ont passé les quatre à cinq derniers mois à Laâyoune pour préparer le magasin. Ce sont des équipes qui connaissent par cœur l’ADN de la marque. Leur richesse, c’est qu’elles sont là depuis le début : depuis 10 ans, elles nous accompagnent sur la conceptualisation de ces magasins de quatrième génération et continuent à faire progresser le concept. D’ailleurs, en sortant du magasin de Laâyoune, ces mêmes équipes nous ont dit avoir déjà beaucoup d’idées pour le prochain – un magasin de génération 4.5. Nous voulons constamment faire évoluer le concept pour nos clients et continuer à innover.
Ces équipes ont été formées chez KITEA. Nous écrivons notre propre histoire. Nous faisons aussi des erreurs, mais nous sommes très réactifs. L’organisation est très horizontale : tout le monde peut donner son avis. C’est la chance que nous avons avec nos équipes. C’est essentiel pour notre développement international : être capable de garder l’âme de KITEA, de la préserver et de la développer au-delà de nos frontières. Les collaborateurs de Laâyoune ont été formés pendant quatre mois à Marrakech, Agadir et Casablanca. D’abord sur les produits: comprendre ce que nous vendons, notre métier, les fondamentaux de KITEA. Ensuite, via la KITEA Academy et nos partenaires formateurs, sur les techniques de vente, l’accompagnement client, la communication. Enfin, par immersion dans nos magasins les plus proches – Marrakech et Agadir – pour comprendre concrètement le fonctionnement.
KITEA ambitionne de devenir un leader continental. Quels sont vos prochains marchés cibles en Afrique et au Moyen-Orient ?
Aujourd’hui, nous sommes présents au Kenya et nous voulons faire de KITEA un leader continental. D’une part, parce que dans cinq à six ans, nous aurons saturé le territoire marocain. D’autre part, parce que nous avons atteint un seuil de maturité nous permettant de nous développer à l’international. Nous l’avions fait il y a quelques années sous forme de franchises en Guinée équatoriale et en République démocratique du Congo, car nous ne nous sentions pas encore prêts à le faire par nous-mêmes. En 2019, nous avons franchi le pas : ouverture au Ghana, à Accra, d’un magasin de plus de 12.000 m², notre plus gros investissement. C’est un vrai succès. Dès la première année, nous avons atteint notre budget et pris une part de marché significative. Nous faisons partie des plus grandes enseignes de mobilier du pays. Cela a prouvé que notre modèle était transposable à l’international. Notre équipe au Ghana s’est parfaitement approprié la culture du groupe KITEA.
Le prochain magasin ouvrira à Abidjan. Nous avons signé pour ouvrir en Côte d’Ivoire fin 2026 ou début 2027, selon l’avancement des travaux. Un magasin à Dakar est, également, dans le pipe. Au Kenya, nous avons une douzaine de magasins à travers Furniture Palace, que nous avons rachetée et qui est leader à Nairobi et dans tout le pays. Nous voulons aussi ouvrir un KITEA géant à Nairobi, peut-être après Abidjan. Notre stratégie vise les marchés moteurs en Afrique. Beaucoup de partenaires potentiels nous sollicitent partout sur le continent. Mais nous choisissons avec soin : parfois en direct, parfois en joint-venture, selon les zones et leurs particularités.
Sur les dix prochaines années, le modèle KITEA se focalisera principalement sur l’international. Nous avons les capacités pour développer cette success-story marocaine au-delà de nos frontières. L’Arabie saoudite représente notre prochain grand enjeu. C’est un marché qui nous tient à cœur depuis toujours. Nous sommes accompagnés par de grandes institutions financières pour ouvrir dans ce pays dans les deux à trois prochaines années, Inchallah. L’objectif : entre quatre et six KITEA géants dans différentes villes du Royaume, en commençant par Riyad et Djeddah. C’est un marché plus important que le Maroc en volume et en potentiel. Ce sera notre premier marché avec une forte présence d’enseignes internationales, mais nous avons les capacités pour relever ce défi. Nous avons fait de nombreux allers-retours ces douze derniers mois en Arabie saoudite pour étudier le marché. Nous travaillons avec un partenaire au Maroc que nous avons envoyé deux semaines sur place. Nous sommes convaincus de pouvoir offrir une proposition différente, avec de meilleurs prix que l’offre actuelle.
Pensez-vous qu’avec ce modèle d’implantation régional en Afrique, Laâyoune pourrait devenir un hub logistique pour KITEA ?
Nous avons des hubs selon les régions. Au Maroc, c’est Casablanca : un centre de distribution de 45.000 m² couverts, totalement automatisé, qui est le plus grand ou le deuxième plus grand du Maroc. C’est le cœur battant de l’entreprise. Nous avons également neuf plateformes régionales dans toutes les villes du Royaume, qui desservent l’intégralité du territoire à partir de ce centre de distribution. Pour l’Afrique, nous avons un hub à Accra qui dessert toute la région. Géographiquement, c’est plus intéressant pour nous de recevoir la marchandise là-bas. Nous avons plus de 400 fournisseurs répartis dans plus de 30 pays qui livrent quotidiennement nos magasins. Le hub en Afrique de l’Ouest se situe donc à Accra, avec peut-être un deuxième prévu en Côte d’Ivoire.
Et Dakhla avec son futur port ?
Concernant Dakhla et son port, nous nous sommes effectivement posé la question. Nous attendons de voir comment les choses vont évoluer, mais s’il y a un intérêt logistique, nous ne manquerons pas de saisir cette opportunité.
Comment KITEA articule-t-il ses valeurs (proximité, accessibilité, modernité) avec la responsabilité sociétale et l’engagement territorial ?
Notre métier, c’est vendre aux clients un rêve : meubler avec du design, de la fonctionnalité, des petits prix et du service. Mais au-delà, nous voulons servir l’ensemble des Marocains sur tout le territoire. L’entreprise a démarré il y a plus de 32 ans. Aujourd’hui, notre taux de notoriété dépasse 84 ou 85% à l’échelle nationale. KITEA est une marque emblématique. Les Marocains l’aiment parce que nous avons tous un souvenir, une expérience d’achat chez KITEA. C’est un vrai patrimoine que nous devons continuer à faire évoluer avec précaution. Nous voulons faire briller cette marque du mieux possible, toujours avec des hommes et des femmes qui ont la volonté d’innover et d’aller toujours plus loin.
En tant qu’enseigne emblématique, pensez-vous que KITEA a un rôle à jouer dans la diplomatie économique du Maroc, notamment en renforçant l’image du pays dans les régions où elle s’implante ?
C’est difficile à dire parce que ce n’est pas notre métier. Notre métier, c’est vendre aux clients un rêve : meubler avec du design, de la fonctionnalité, des petits prix et du service. Nous ne rentrons pas dans des affaires qui nous dépassent. Mais ce que je peux vous dire, c’est que dans tous les pays où nous nous sommes installés, nous avons une relation exceptionnelle avec les ambassadeurs marocains. Quand nous allons en Afrique, nous retrouvons des banques marocaines, des assurances marocaines, une diaspora qui nous accueille. La première fois que je suis allé au Kenya, c’est le patron d’une grande banque marocaine qui m’a accueilli. Ça fait la différence.
De là à jouer nous-mêmes un rôle diplomatique, je ne pense pas. En revanche, nous accompagnons des Marocains formés chez KITEA au Maroc pour qu’ils se développent dans ces pays. C’est une fierté de transporter cet ADN marocain unique à l’international. Nous avons beaucoup de Marocains aujourd’hui à Accra, très heureux d’y vivre, qui ont créé une communauté. Ils sont proches de leur ambassade et créent une dynamique positive au quotidien. C’est comparable aux enseignes françaises qui se sont installées en Europe – Auchan, Décathlon, Carrefour – et qui participent à la dynamique entre pays.
Nous aimerions que KITEA fasse partie de ces étendards, de ces réussites qui peuvent s’installer dans un pays. Pas pour influencer des décisions, mais pour participer, à travers du soft power, à faire briller le Maroc au-delà de ses frontières. En tant que patriotes, nous serions honorés de continuer dans cette voie. Entreprise marocaine, fière de l’être, KITEA va continuer à se développer et, je l’espère, deviendra un acteur incontournable dans la grande distribution de meubles et de décoration.
2025-11-12 16:05:00
lematin.ma





