Abdellah Marrakchi : de l’ingénierie au digital, itinéraire d’un bâtisseur de sens
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Il a d’abord appris à parler aux machines. Aujourd’hui, il consacre son énergie à aider les entreprises à mieux communiquer entre elles. Abdellah Marrakchi, Directeur Afrique francophone & Outremer de Sage, incarne cette génération d’ingénieurs qui ont trouvé dans la technologie non pas une fin, mais un moyen. Un moyen d’émancipation, de structuration et de progrès partagé.
Rien ne prédestinait ce passionné de communication à devenir l’un des visages du numérique au Maroc. Formé à l’Ecole Hassania des Travaux Publics, il se spécialise d’abord dans les systèmes d’information géographiques — ces outils capables de modéliser le monde à partir de données spatiales. «Mais très vite, je me suis rendu compte que j’avais raté ma vocation », confie-t-il. « La formation d’ingénieur m’a appris à parler aux machines, alors que j’avais envie de comprendre les humains».
Cette tension entre technique et humanité traversera toute sa carrière. C’est d’ailleurs en cherchant à concilier les deux qu’il fonde, en 2006, sa première entreprise dans l’offshoring, un secteur alors en plein essor au Maroc. L’expérience est formatrice, mais aussi rude. «J’ai beaucoup appris, et beaucoup perdu. J’ai dû fermer la boîte un an plus tard».
Le déclic chez Atento
Cette parenthèse lui ouvre pourtant des portes inattendues. Il rejoint ensuite Atento, multinationale spécialisée dans les métiers de l’offshoring et de la relation client externalisée. C’est là qu’il découvre ce qu’il nomme aujourd’hui son « grand déclic », la puissance de l’organisation outillée. « Dans les petites entreprises, tout repose sur le bricolage. Pas de tableaux de bord, pas de vision claire. Dans les grandes structures, tout est processé, interconnecté. Les informations circulent, les équipes partagent les mêmes indicateurs». Ce contraste le frappe. Il comprend alors que les outils de gestion ne sont pas un luxe réservé aux grands groupes, mais un levier vital pour la survie des PME.
La rencontre avec Sage, une révélation
C’est en lisant une interview d’un ancien dirigeant de Sage, qu’Abdellah Marrakchi trouve sa voie. L’ambition de la marque, équiper les petites et moyennes entreprises de solutions accessibles, résonne avec sa propre expérience d’entrepreneur. Il rejoint Sage en 2009. « Le métier a profondément du sens pour moi. Il me permet de contribuer, à mon échelle, au développement des entrepreneurs, en les aidant à structurer leurs activités et à professionnaliser leur gestion. C’est une mission à la fois utile et porteuse de valeur», explique-t-il avec enthousiasme.
Il débute comme commercial, chargé d’un réseau de partenaires intégrateurs. Un poste qui lui permet d’explorer la dimension humaine et stratégique du modèle Sage, un éditeur qui développe les solutions, mais confie leur intégration à un réseau de partenaires répartis sur tout le territoire. « Un logiciel, aussi performant soit-il, n’a de valeur que s’il est bien déployé et bien compris. C’est comme une guitare, entre les mains d’un musicien, elle devient magique ; mal utilisée, elle sonne faux».
Aujourd’hui, Sage compte 70 partenaires au Maroc et plus de 6 500 clients actifs, qui renouvellent chaque année leur confiance. Une fidélité qui, selon Marrakchi, « témoigne de la valeur de la solution et de la qualité de l’accompagnement ».
De Casablanca à Tunis, puis à l’Afrique
Son parcours évolue rapidement. L’entreprise repère en lui un potentiel managérial. Il prend la tête d’une équipe commerciale, puis étend son périmètre à la Tunisie et au segment des experts-comptables. « C’est un marché passionnant, car les experts-comptables sont à la fois clients, prescripteurs et partenaires. Ils nous aident à adapter nos logiciels aux évolutions légales et réglementaires».
En octobre 2025, Sage lui confie une nouvelle mission, piloter la stratégie de développement sur l’ensemble de l’Afrique francophone et les territoires d’outre-mer. Une consécration, mais aussi une responsabilité. « L’Afrique est à un tournant. Elle veut créer de la valeur et ne plus être simplement un réservoir de ressources. Le digital est au cœur de cette émancipation, et le Maroc a un rôle d’entraînement à jouer».
Un engagement qui dépasse la technologie
Sous sa direction, l’accompagnement des entreprises dépasse la simple fourniture de logiciels pour s’inscrire dans une logique globale fondée sur trois leviers complémentaires : d’abord la conformité légale, qui garantit l’adaptation des solutions à chaque cadre national et anticipe les grandes réformes comme la facturation électronique ; ensuite la technologie, déployée selon des architectures cloud, hybrides ou locales, afin de répondre au niveau de maturité numérique de chaque organisation ; enfin un accompagnement durable, pensé pour évoluer avec le client tout au long de sa trajectoire de croissance et consolider, sur la durée, une relation de confiance et de performance partagée. Mais il insiste aussi sur la sensibilisation, conférences, ateliers, événements, tous destinés à vulgariser la technologie. « Nous voulons montrer que ces sujets ne concernent pas seulement les DAF ou les informaticiens, mais toute l’entreprise ».
L’intelligence artificielle, un levier de performance métier
Chez Sage, l’intelligence artificielle n’est pas une expérimentation ni un gadget technologique, mais le fruit d’un travail de fond mené depuis plusieurs années. L’entreprise a développé son propre modèle d’IA, spécifiquement entraîné sur les domaines de la comptabilité, de la finance et de la gestion, avec une équipe de plus de 80 experts mobilisés pour sa conception. Ce modèle s’appuie sur plus de quarante ans de données et de retours clients, afin d’offrir une compréhension fine des réalités de terrain et des besoins des métiers du chiffre. Cette IA «métier» se distingue par sa fiabilité, son adaptation au langage comptable et sa capacité à automatiser les tâches répétitives tout en aidant les décideurs à mieux anticiper. Elle intervient sur des fonctions clés telles que la reconnaissance automatique des factures, la prévision de trésorerie, ou encore la détection d’anomalies comptables, pour libérer du temps aux collaborateurs et renforcer la qualité des analyses. «Nous voulons que l’IA soit un véritable levier de performance pour nos clients, explique Abdellah Marrakchi. Elle doit leur permettre de se concentrer sur la création de valeur, en s’appuyant sur des données fiables, contextualisées et en phase avec la réalité de leur activité ».
Former pour transmettre
Au-delà des entreprises, Marrakchi pense aussi aux futurs talents. Sage équipe aujourd’hui de nombreuses écoles et universités avec ses solutions pédagogiques. «Nous voulons que les étudiants puissent manipuler nos logiciels pendant leurs études. Nous leur délivrons ensuite des certificats co-signés avec les établissements, pour renforcer leur employabilité». L’entreprise accorde jusqu’à 90 % de réduction sur ces licences, une manière de rendre la technologie accessible tout en contribuant à l’écosystème de formation.
Une vision en mouvement
Pour Abdellah Marrakchi, la réussite ne se résume ni à une fonction ni à un titre. Elle se mesure à la capacité d’évoluer, d’apprendre et de s’adapter. « Le monde change à une vitesse vertigineuse. Ce que l’on savait faire hier ne suffit plus. L’important, c’est de garder cette curiosité, cette envie d’explorer, de remettre en question nos certitudes pour avancer ». Cette posture, il l’applique à lui-même autant qu’il la prône aux entrepreneurs qu’il accompagne. Dans un environnement où les modèles économiques se transforment sans cesse, il voit dans la technologie non pas une contrainte, mais une opportunité de se réinventer.
Des jalons de vie comme boussole
Le parcours d’Abdellah Marrakchi reflète une dynamique d’équilibre entre rigueur et dépassement de soi. Avril 2009 marque son entrée chez Sage, le début d’une aventure professionnelle qui coïncide avec son mariage, symbole d’un double engagement personnel et professionnel. Quelques années plus tard, sa première promotion survient alors qu’il devient père, une période où la paternité et le management s’entremêlent dans un même apprentissage de la responsabilité. En 2025, sa nomination à la tête de la stratégie africaine du groupe ouvre un nouveau chapitre, tourné vers la transmission et l’impact continental.
Mais l’homme ne se définit pas uniquement par son parcours professionnel. Grand passionné de sport, il s’est récemment entrainé pour le triathlon Ironman d’Agadir, qui s’est déroulé le 26 octobre dernier. Une discipline extrême qui exige endurance, constance et lucidité, autant de qualités qu’il transpose dans son management. « Le triathlon, c’est avant tout une école d’humilité. Il apprend à connaître ses limites, à gérer l’effort dans la durée, à tomber puis à se relever. Ce sont exactement les mêmes ressorts qu’en entreprise », confie-t-il. Pour Marrakchi, cette philosophie sportive s’unit à une exigence de stabilité, trouver le bon rythme entre ambition, famille et engagement professionnel. Une manière d’illustrer que, dans le sport comme dans la vie, la performance durable repose avant tout sur l’équilibre.
2025-11-04 13:25:00
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